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American Friends Service Committee - Commentaires




7) Les relations avec les forces politiques


-Les relations de l’AFSC avec les forces politiques en présence méritent également réflexion. Bien qu’il s’en défende, le Comité de Philadelphie a ses entrées à la Maison Blanche, ce qui peut sembler paradoxal pour une organisation souvent qualifiée de subversive au vu de la férocité de ses critiques contre la politique de Washington. Les liens de l’AFSC avec les pouvoirs publics transcendent en réalité les clivages partisans, républicain ou démocrate. Ils s’expliquent plutôt par l’histoire et les engagements politiques du mouvement. A l’instar des Quakers de Londres qui avaient fondé en 1808 une association pour obtenir du Parlement britannique l’abolition de la peine de mort, la Société religieuse des Amis américains a ainsi cherché à influencer le Congrès en établissant un lobby, le FCNL (Friends Committee on National Legislation), lancé par Raymond Wilson et enregistré au ministère de la Justice en 1943. Pour sa part, le Comité de Philadelphie a ouvert un bureau de plaidoyer à Washington dès 1947.

-Un bon nombre de Quakers sont par ailleurs entrés en politique. En Grande-Bretagne, ils ont commencé à se faire élire quand a été supprimée, en 1828, l’obligation pour les députés de prêter un serment d’allégeance à l’Eglise anglicane. De 1832 jusqu’à 2005, et à l’exception des années 1841, 1842, 1843, 1970 et 1971, le Parlement britannique a toujours compté au moins un Quaker dans ses rangs, pour la plupart dans la mouvance libérale, puis travailliste après 1918. Parmi les plus connus, on peut citer des membres de l’opposition libérale comme Joshua Rowntree (1844-1915), député de Scarborough de 1886 à 1892, et John Bright (1811-1889), député de Durham en 1843 puis de Birmingham de 1857 jusqu’à sa mort. Avec une moyenne de cinq députés quakers, l’Entre-Deux-Guerres a été une période particulièrement riche de ce point de vue. En effet, la fin du conflit a vu les édiles quakers passer à l’Independent Labour Party et à l’Union of Democratic Control, tandis qu’une poignée rejoignait les socialistes et les communistes. Récompensé de plusieurs médailles militaires pour avoir commandé une FAU en France en 1914 puis en Italie de 1915 à 1918, Philip Noel-Baker (1889-1982), par exemple, a été député travailliste de Coventry de 1929 à 1931 puis de Derby de 1936 à 1970, président du Labour en 1946 et plusieurs fois ministre, en l’occurrence des Affaires étrangères en 1945, de l’Air en 1946, du Commonwealth en 1947-1950 et de l’Energie en 1951. Tant son père, Allen, que son fils, Francis, avaient également siégé au Parlement. Depuis lors, d’autres Quakers ont pris la relève, notamment des femmes comme Carole Tongue, députée travailliste au Parlement européen de 1984 à 1999, ou Sue Doughty, députée libérale démocrate de Guilford entre 2001 et 2005.

-Aux Etats-Unis, les Quakers ont, pour leur part, compté deux présidents républicains qui ont d’ailleurs laissé de mauvais souvenirs, Herbert Hoover à cause de son incapacité à régler la crise économique de 1929, Richard Nixon à cause du scandale du Watergate. Au niveau local, les Amis ont aussi exercé une certaine influence sur la vie politique en Virginie, à Rhodes Island, dans le Maryland et jusque dans le Massachusetts, d’où ils avaient initialement été bannis du temps de la colonisation britannique. L’Etat de Pennsylvanie, où l’AFSC a son siège, reste leur fief le plus emblématique. Il a en effet été fondé par un Quaker anglais, William Penn, sur un territoire dont celui-ci était devenu propriétaire en vertu d’une charte que le roi Charles II lui avait concédé le 4 mars 1681 pour régler une dette de la Couronne britannique. Baptisée à son nom, la “ forêt de Penn ”, ou Pennsylvania, a alors servi à tester les idéaux démocratiques du moment en faveur de la liberté de conscience, de la souveraineté du peuple et d’un suffrage élargi à l’ensemble des hommes chrétiens, à l’exclusion, donc, des femmes et les Indiens. Promulguée le 25 avril 1682 et directement inspirée du quakerisme, la Constitution de l’Etat devait organiser l’élection d’un Conseil de gouvernement et proclamer les vertus du pacifisme en interdisant la création d’une armée et en décriant le concept de légitime défense, un prétexte trop souvent invoqué pour justifier des massacres d’Indiens ou des attaques préventives. Bien vite, la “ sainte expérience ”, comme on l’a appelée, a certes buté sur des difficultés insurmontables, y compris en Grande-Bretagne. Fils d’une famille de corsaires marqués par le fanatisme de l’Inquisition espagnole, William Penn est d’abord tombé en disgrâce après la fuite du roi Jacques II, un catholique sensible au respect des minorités religieuses face à la domination de l’Eglise anglicane. Suspect de sympathies catholiques et françaises parce qu’il prêchait la tolérance, William Penn a alors été accusé de complot et brièvement emprisonné en 1690 au moment où l’Angleterre se préparait à la guerre contre son voisin outre-manche. Gendre et successeur de Jacques II, le roi Guillaume d’Orange en a profité pour s’approprier l’Etat de Pennsylvanie de 1692 à 1694. Après la mort de William Penn en 1718, les nouveaux dirigeants du territoire se sont ensuite éloignés des valeurs non-violentes des Quakers. Malgré l’existence d’un traité de paix qui datait du 23 avril 1701, ils ont commencé à flouer les Indiens, ont arrêté de les dédommager et ont rompu la bonne entente qui avait initialement caractérisé les relations entre les colons et les autotchtones. Après avoir guerroyé contre les Français du Canada en 1755, le gouvernement de Pennsylvanie allait finalement s’engager dans la révolution américaine qui devait mener à la déclaration d’indépendance des Etats-Unis, signée à Philadelphie en 1776. Sous la pression de la Société religieuse des Amis en Grande-Bretagne, les Quakers, quant à eux, se retirèrent de la vie politique et cessèrent de se présenter aux élections locales en 1756.

-Bien entendu, l’échec de la “ sainte expérience ” ne signifie pas que les Quakers ont définitivement renoncé à s’engager en politique. Au contraire, de nombreux Amis se sont présentés aux élections, y compris dans des Etats comme l’Illinois avec le sénateur Paul Howard Douglas (1892-1976) de 1949 à 1967. D’autres, quant à eux, sont entrés au gouvernement. Professeur de géographie à l’université de Chicago, volontaire à l’AFSC de 1942 à 1946 puis président du Comité de Philadelphie entre 1963 et 1969, Gilbert White a ainsi été un des responsables régionaux de la planification nationale pour l’administration de Franklin Roosevelt entre 1934 et 1940, pendant la période du New Deal. Les individus ne sont pas seuls en cause. A l’occasion, l’organisation quaker dans son ensemble a pu s’impliquer dans des plateformes électorales comme la Coalition Arc-en-ciel, qui a appuyé la candidature de Jesse Jackson aux primaires du Parti démocrate en mars 1988. Ce faisant, l’AFSC risquait de perdre les exemptions fiscales liées à un statut associatif, religieux et humanitaire qui prohibait les engagements partisans. En janvier 1987, le Comité de Philadelphie a donc dû édicter un règlement qui lui a interdit de soutenir des candidats aux présidentielles. Depuis lors, les collaborateurs de l’AFSC qui se présentent à des élections sont censés démissionner de leur poste.

-La proximité de l’AFSC avec les pouvoirs publics apparaît le plus clairement pendant les deux guerres mondiales, lorsque l’organisation travaille dans un seul camp, celui des Alliés, aux côtés de l’armée américaine. Dès l’année de sa création, le Comité fait ainsi montre d’un patriotisme qui tranche avec le pacifisme des Quakers britanniques. D’après son premier président Rufus Jones, cité par Clarence Pickett, l’organisation se met en l’occurrence « à la disposition du gouvernement des Etats-Unis pour servir l’humanité de façon constructive et consciencieuse ». Après guerre, raconte John Van Gelder Forbes, l’AFSC cède ensuite aux pressions du département d’Etat et renonce à intervenir en Irlande lors de la crise de 1921, de crainte de compromettre la neutralité de Washington. Cette année-là, en revanche, il s’investit massivement en Russie et en Allemagne, où il sert les intérêts des Etats-Unis. A l’époque, qui plus est, le Comité envoie souvent ses fonds par l’intermédiaire des ambassades américaines dans les pays où il n’a pas d’expatriés. Non sans déconvenues, d’ailleurs : en mars 1926, par exemple, le représentant des Etats-Unis à Sofia le prive des financements de la Near East Foundation, qu’il a préféré reverser intégralement à la Croix-Rouge bulgare.

-L’alignement de l’AFSC sur les positions de Washington est encore plus explicite à l’occasion de la Seconde Guerre mondiale. Le Comité devient alors un instrument de la diplomatie et de la stratégie militaire américaines, notamment par le biais des FAU, qu’il finance. A partir de 1943, par exemple, son représentant à Genève, Rosswell Maclelland, relaie auprès des autorités helvétiques à Berne les messages personnels du président Franklin Roosevelt. Après guerre, la participation de l’AFSC à la reconstruction de l’Allemagne, à partir de 1946, puis de la Corée du Sud, à partir de 1953, sert également les intérêts de Washington en vue d’endiguer la poussée des communistes. Les velléités de médiation des Quakers intéressent par ailleurs les puissances occidentales. Dans son livre, Sidney Bailey explique ainsi que le FSC est approché par les services secrets britanniques pour soutirer des confidences aux diplomates d’Europe de l’Est rencontrés au cours de discussions informelles. Lors d’une mission d’enquête en Yougoslavie en 1950, une délégation de la Société religieuse des Amis, partie de Londres, est même infiltrée par un agent de Sa Majesté. Engagé dans l’armée américaine au cours de la campagne de Birmanie pendant la Seconde Guerre mondiale, un ancien de la FAU en Chine, William “ Bill ” Brough, est quant à lui décoré à cause de son travail pour l’OSS (Office of Strategic Service), l’ancêtre de la CIA (Central Intelligence Agency)…

-Vivement condamnée, l’intervention militaire des Etats-Unis au Vietnam marque certes une rupture. Mais l’opposition de l’AFSC à la politique étrangère de Washington n’est pas dénuée d’ambiguïtés. Loué pour s’être réconcilié avec la Chine en 1972 et désengagé du Vietnam à partir de 1973, le président Richard Nixon, un Quaker de Californie, n’est pas exclu des rangs de la Société religieuse des Amis alors même qu’il a enfreint ses règles en mentant lors de l’affaire du Watergate en 1974. Par la suite, le déploiement de troupes américaines à l’étranger permet au Comité d’ouvrir ou de renforcer ses missions humanitaires en Somalie en 1992, en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003. Les critiques de l’AFSC contre la Maison Blanche restent assez équivoques quand l’intérêt national des Etats-Unis est en jeu. Dans une lettre adressée à la Maison Blanche le 20 septembre 2002, le Comité fait en l’occurrence référence à l’hymne national pour essayer de convaincre le président George Bush de ne pas envoyer l’armée renverser la dictature de Saddam Hussein. De même, le 21 janvier 2004, une manifestation organisée par l’AFSC à Chicago consiste à déposer 500 paires de chaussures vides en l’honneur des soldats américains tombés en Irak : un geste qui s’interprète aussi bien comme un hommage patriotique que comme une protestation contre l’intervention militaire des Etats-Unis à Bagdad. Moins frontale que du temps de l’opposition à la guerre du Vietnam, la stratégie de communication du Comité utilise en effet des registres compassionnels plus subtils pour condamner la politique du gouvernement. Dorénavant, expliquent Patrick Goy et al., elle cherche à diffuser la cause pacifiste sans attirer l’hostilité des militaires et des citoyens patriotes.

-Le rôle de l’AFSC ne se réduit ainsi pas à une fonction de faire-valoir ou de sous-traitance de la politique de Washington. A la différence de CARE ou de CRS, le Comité de Philadelphie compte au contraire parmi les ONG les plus “ indépendantes ” sur la scène humanitaire aux Etats-Unis. En général, les frictions avec Washington l’ont emporté sur les convergences d’intérêts observées pendant les deux guerres mondiales. En effet, les pouvoirs publics se sont beaucoup méfiés d’une organisation pacifiste et opposée à la bombe atomique. Dans une déclaration approuvée en avril 1976 et citée par Guenter Lewy, le Comité de Philadelphie devait pour sa part réclamer la suppression du FBI (Federal Bureau of Investigation), qui n’avait cessé de le surveiller, et de la CIA (Central Intelligence Agency), à qui il avait refusé de communiquer des informations sur ses programmes pendant la guerre du Vietnam. Depuis lors, l’AFSC n’a jamais cessé de protester contre la politique de Washington, notamment au cours des mandats des Républicains Ronald Reagan et George Bush Junior. A plusieurs reprises, le Comité de Philadelphie n’a pas non plus hésité à s’associer au parti communiste américain pour dénoncer l’invasion de l’île de la Grenade en 1983 ou pour organiser une conférence sur la justice dans le monde en 2002.

-De par ses engagements politiques, l’AFSC a ainsi acquis la réputation d’être une organisation progressiste, voire « gauchiste ». Historiquement, un bon nombre de ses programmes outre-mer ont révélé une forte dimension sociale et syndicale. En France, pour commencer, les Quakers ont appuyé la formation de coopératives agricoles après la Première Guerre mondiale. En Autriche, où ils ont distribué des vivres à partir de juillet 1919, ils ont soutenu la construction de logements sociaux qui allaient devenir des bastions “ rouges ” et ils ont favorisé l’établissement de syndicats fonciers (Siedlungsgenossenschaften) pour les prolétaires et les soldats démobilisés qui avaient squatté et cultivé des potagers dans les espaces verts de Vienne. Aux Etats-Unis, ils ont ensuite aidé les grévistes et les chômeurs victimes de la dépression économique de 1920 puis de la crise de 1929, en particulier dans les mines de charbon de Virginie occidentale et de Pennsylvanie d’avril 1922 à avril 1923 puis de janvier 1928 à juin 1934. A titre individuel, des volontaires n’ont pas non plus caché leurs sympathies pour la révolution russe d’octobre 1917. Avant de rejoindre les activités caritatives des Quakers en faveur des victimes de la famine dans la province de Samara en août 1921, Sonia Sapir, la fille d’un exilé juif en Angleterre, s’était par exemple battue avec l’Armée Rouge contre les Polonais en 1918 ; Arthur Watts, le chef de la mission britannique à Buzuluk, fit, lui, le choix de rester en Russie jusqu’à sa mort ; l’Américaine Jessica Smith revendiquait quant à elle son attachement au marxisme et elle s’est mariée successivement à deux responsables du parti communiste des Etats-Unis, Harold Ware puis John Abt. “ Le bolchevisme est critiqué par ignorance, écrivait par ailleurs un volontaire de l’AFSC dans son journal de bord cité par Mary Hoxie Jones et rédigé sur le terrain. Le temps viendra où les ouvriers et les paysans des Etats-Unis vont se soulever et écraser les richards qui les oppriment. Plutôt que d’en avoir peur ou de s’en moquer, les capitalistes feraient mieux d’étudier attentivement la situation en Russie, car un jour ils seront à leur tour confrontés à des troubles dans leur propre pays ”.

-Aux Etats-Unis, l’AFSC a donc été accusé plusieurs fois d’être communiste et anti-américain. Pendant la crise économique de l’Entre-deux-guerres, notamment, ses actions sociales et son pacifisme lui ont valu une attaque en règle de la part des vétérans de la Légion à l’occasion de la fête du 1er mai 1935. Le maccarthysme des années 1950 puis la guerre du Vietnam dans les années 1960 devaient ensuite renouveler les suspicions contre le Comité. En effet, l’organisation quaker comptait des conseillers comme Alger Hiss, un crypto-communiste accusé d’espionage pour le compte des soviétiques et traîné en justice à partir de 1948. Un de ses militants, le socialiste Stewart Meacham, allait quant à lui conduire l’AFSC à participer avec le parti communiste américain à une Coalition populaire pour la paix et la justice en mars 1971. A l’époque, le Comité paraissait en outre faire le jeu des “ Rouges ” en affichant sa volonté de réconcilier Moscou et Washington. Paru aux Presses de l’Université de Yale, son pamphlet de 1949 avait suscité quelques polémiques car il préconisait de réunifier l’Allemagne et de multiplier les liens commerciaux avec les pays de l’Est afin d’éviter un affrontement. Sous prétexte que l’anticommunisme primaire était réactionnaire et desservait les causes démocratiques, un autre ouvrage de l’AFSC, publié en 1969, dénonçait également la logique du maccarthysme qui, pour endiguer le « péril rouge », avait poussé Washington à se militariser et à soutenir des dictatures de droite dans les pays en développement. Sans garantie de réciprocité, l’AFSC demandait alors aux Etats-Unis de réduire ses dépenses de défense, d’arrêter sa coopération militaire avec les régimes autoritaires du tiers-monde et d’amorcer un désarmement unilatéral en vue d’inciter le bloc soviétique à en faire autant ! Dans le même ordre d’idées, un communiqué des Quakers de Londres, daté de décembre 1968, pressait le gouvernement britannique d’arrêter de vendre des armes aux Nigeria mais n’exigeait rien d’équivalent de la part des Soviétiques et des Français, qui ravitaillaient respectivement les fédéraux et les sécessionnistes biafrais. Pendant la guerre du Vietnam, encore, l’AFSC réclamait un retrait unilatéral et inconditionnel des troupes américaines au détriment, donc, de Saigon, et au profit de Hanoi. Dans les années 1980, enfin, le Comité de Philadelphie invitait Washington à cesser toute coopération militaire avec le gouvernement salvadorien, mais ne disait rien des livraisons à la guérilla d’armes en provenance d’Union soviétique, de Cuba et du Nicaragua.

-A l’époque, l’AFSC ne cachait pas non plus ses sympathies pour les régimes progressistes. En Tanzanie, il saluait les efforts de collectivisation agricole du socialiste Julius Nyerere. A Cuba, il ignorait la répression communiste et louait les avancées sociales de la révolution castriste, par exemple en constatant qu’il n’y avait pas de signes de famine à l’occasion d’une délégation envoyée sur place en octobre 1969. Au Nicaragua, encore, le Comité de Philadelphie prenait clairement parti pour les Sandinistes et protestait contre les incursions de l’opposition armée soutenue par Washington. De même au Salvador, le Comité de Philadelphie condamnait d’emblée les tentatives de réforme agraire de José Napoléon Duarte, un démocrate chrétien revenu au pouvoir en décembre 1980 après avoir gagné les élections truquées de février 1972. L’AFSC préférait se rallier aux positions du CISPES (Committee in Solidarity with the People of El Salvador), une ONG créée en décembre 1980 pour soutenir la guérilla du FMLN (Front Farabundo-Marti de libération nationale). Dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, enfin, le Comité de Philadelphie soutenait exclusivement les militants de l’ANC (African National Congress), d’inspiration marxiste. Sollicité en août 1984, il refusait ainsi de coopérer avec les cadres de l’Inkatha pour leur enseigner des techniques de revendication politique non violentes. Philadelphie répugnait en effet à soutenir un parti ethnique et opposé à l’UDF (United Democratic Front), la coalition anti-apartheid proche de l’ANC. Ce faisant, le Comité révélait que son principal objectif n’était pas de promouvoir la paix mais de sélectionner des partenaires en fonction de leurs allégeances idéologiques.

-Outre qu’il revenait à focaliser ses critiques contre les Etats-Unis plutôt que l’Union soviétique, le parti-pris de l’AFSC a également pu conduire à minimiser la menace communiste, voire à nier les velléités d’expansionnisme de Moscou. Les invasions de la Tchécoslovaquie en 1968 ou de l’Afghanistan en 1980 ont par exemple été analysées comme une réaction de défense face à l’impérialisme américain ! Dans un rapport publié pour le Comité de Philadelphie en 1990, John Feffer déconstruisait pour sa part les “ mythes ” concernant la supposée supériorité nucléaire de l’URSS, sa capacité à envahir l’Europe de l’Ouest avec des forces conventionnelles et son désir d’expansion territoriale. Selon lui, Moscou avait simplement profité d’opportunités locales pour étendre son influence à Cuba, au Nicaragua, en Ethiopie, en Somalie ou au Yémen du Sud. Oubliant l’invasion de l’Afghanistan en 1980, l’incorporation des pays baltes en 1940, la tentative d’annexion de la Finlande en 1939 ou la mainmise sur la Mongolie extérieure en 1921, John Feffer affirmait que les dirigeants russes étaient sincèrement ouverts aux propositions de dialogue et n’envisageaient pas la détente comme un moyen de gagner du temps avant le “ grand soir ”. A l’en croire, Moscou ne comprenait pas que le langage de la fermeté : en témoignait l’échec des sanctions économiques américaines après l’entrée de l’Armée Rouge à Kaboul. Malgré leur scepticisme à l’égard de la glasnost, les Etats-Unis devaient donc encourager la perestroïka et cesser de discréditer les efforts des réformateurs, sous peine de renforcer le camp des conservateurs et de pérenniser les clivages de la guerre froide. Après la chute du Mur de Berlin en 1989, l’AFSC a alors demandé à Washington de démanteler et reconvertir son industrie de l’armement, d’une part, et de mettre un terme à ses interventions militaires dans les pays en développement au profit des actions multilatérales de l’ONU, d’autre part.

-Du temps de la guerre froide, tant l’AFSC que le FSC ont ainsi démontré une indéniable complaisance à l’égard des thèses communistes. Dans son Anatomie de l’Anticommunisme, le Comité de Philadelphie conseillait par exemple de prendre ce qu’il y avait de bon dans le marxisme et de rejeter ce qu’il y avait de mauvais dans le capitalisme. Favorable à un dialogue entre les chrétiens et les marxistes, William Barton, secrétaire général du FSC à partir de 1956, admettait quant à lui certaines convergences de vues entre les “ Amis ” quakers et les “ camarades ” communistes, à savoir le souci de construire une nouvelle société plus juste et plus fraternelle, la volonté de réduire les inégalités sociales, l’altruisme au service de la communauté, le respect du travail et de la discipline, le refus de l’ostentation, la simplicité et la modestie, la pruderie à l’égard de la pornographie, de l’alcool et des jeux d’argent, l’accent mis sur l’éducation et la formation des jeunes, un même penchant pour les colonies de vacances, etc.

-De par leur philosophie religieuse, les Quakers ne peuvent cependant pas être assimilés à des révolutionnaires “ crypto-communistes ”. Leurs divergences avec les marxistes, rappelle William Barton dans son ouvrage, concernent l’emploi de la violence, l’athéisme, le rôle de la famille, le développement personnel et l’obéissance à une doctrine. Les Quakers ne croient pas à la lutte des classes et à l’égalité sociale : respectueux des hiérarchies, William Penn recommandait par exemple “ l’obéissance à ses supérieurs, l’amour de son prochain, et de la commisération pour les êtres inférieurs ”. Les Amis défendent plutôt l’individu comme valeur suprême et sont partisans de la libre entreprise, comme en témoigne leur opposition récurrente au protectionnisme douanier et à d’éventuelles sanctions économiques contre les Etats belliqueux. Les Quakers, qui plus est, proviennent souvent de milieux relativement aisés, y compris dans le domaine humanitaire. Des fondations philanthropiques ont ainsi été établies par les grandes fortunes chocolatières des Amis de Grande-Bretagne, les Rowntree ou les Cadbury.

-L’AFSC a quant à lui été lancé par des hommes d’affaires, des capitaines d’industrie, des banquiers et des universitaires. Auteur prolixe, son premier président, Rufus Jones (1863-1948), était un historien du mysticisme et un professeur de philosophie peu suspect de sympathies marxistes. A l’époque, l’AFSC se refusait à tout rapprochement avec les communistes. Cité par Guenter Lewy, un de ses responsables, Vincent Nicholson, expliquait qu’une pareille alliance aurait été contre-nature et contre-productive. Le procédé revenait à marier des fondamentalistes chrétiens à des contrebandiers d’alcool sous prétexte que ceux-ci soutenaient la prohibition en vue de s’enrichir au marché noir. Même les Quakers partisans d’un front commun ont fini par admettre l’impossibilité d’une alliance ponctuelle. Candidat du parti socialiste au poste de sénateur du Connecticut et rédacteur en chef du World Tomorrow, organe pacifiste du Fellowship of Reconciliation, Devere Allen s’est ainsi résolu à démissionner en 1934 de la Ligue américaine contre le fascisme et la guerre, qui était complètement infiltrée par les agents de Moscou. Lors de la mobilisation contre la guerre du Vietnam, encore, l’AFSC a refusé en 1966 de participer à une coalition avec le parti communiste américain et des groupes trotskistes qui soutenaient Hanoi. Tant le FBI (Federal Bureau of Investigation) que la CIA (Central Intelligence Agency) devaient ensuite confirmer que, malgré sa dérive gauchiste, le Comité n’avait jamais été infiltré et contrôlé par les communistes.