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Comité International de la Croix Rouge
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Comité International de la Croix Rouge - Commentaires




3) Le fonctionnement en réseau : les problèmes de coordination


-De fait, le fonctionnement du CICR doit aussi se comprendre en relation avec les organisations internationales et non-gouvernementales, d’une part, et avec le mouvement de la Croix-Rouge, d’autre part. Avant de s’étendre plus avant sur ce dernier, il convient de dire un mot des premières. Le Comité de Genève entretient en effet de nombreuses relations statutaires avec les organisations intergouvernementales. En vertu de la résolution n°456 du 16 octobre 1990, qui a été adoptée par consensus, l’Assemblée générale des Nations unies a notamment accordé au CICR le droit de participer à ses sessions et travaux en qualité d’observateur, privilège qui devait ensuite être étendu à la FICR avec la résolution n°492 du 19 octobre 1994. Sur les recommandations de l’ambassadeur du Chili, Juan Somavia, le Comité a alors été consulté à plusieurs reprises par le Conseil de sécurité de l’ONU, en l’occurrence en février 1997 et octobre 1998 à propos du Rwanda puis du Soudan. A l’échelle régionale, le CICR jouit également d’un statut d’observateur auprès de l’Union africaine depuis le 4 mai 1992 et de l’Organisation des Etats américains depuis le 10 mai 1996. L’Union européenne n’est pas en reste depuis que le Comité de Genève a établi un bureau à Bruxelles en 1999 et signé en 1993 un premier accord-cadre avec son bureau des affaires humanitaires, ECHO (European Commission Humanitarian Office). De leur côté, les diverses agences de la mouvance onusienne n’ont pas non plus été négligées. En 1982, l’ACR (Agence Centrale de Recherches) a ainsi signé avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés un accord à sens unique afin d’avoir accès sans contrepartie —discrétion oblige— aux noms des personnes placées sous la protection de l’ONU. De façon ad hoc, de pareils partenariats ont pu être montés avec des ONG. En vertu d’un accord en date du 29 mars 2000, le CICR a par exemple repris à son compte la base de données établie par les Américains de PHR (Physicians for Human Rights) en vue d’identifier les personnes disparues lors des massacres de Srebrenica en Bosnie en 1995.

-Pour autant, les relations avec les organisations intergouvernementales n’ont pas toujours été harmonieuses, notamment lorsque celles-ci ont empiété sur les prérogatives du Comité. Alexander Cooley et James Ron notent ainsi que, pendant la guerre de Bosnie en 1992-1994, la prolifération d’agences dont les mandats se recoupaient ont fini par gêner le CICR et faire le jeu des auteurs d’exactions. Les geôliers, par exemple, ont joué une organisation contre l’autre pour retarder ou empêcher l’accès à leurs prisonniers en prétextant que leurs camps avaient déjà été inspectés par une agence rivale.

-Institutionnellement, le fonctionnement en réseau du CICR repose d’abord sur le mouvement de la Croix-Rouge, à la fois avec les sociétés nationales et avec leur Fédération, la FICR. Le tout s’avère fort complexe. Outre les relations du Comité de Genève avec la Fédération et les Croix Rouges, il convient en effet d’étudier aussi la nature des liens entre la FICR et ses membres, d’une part, et entre les sociétés nationales elles-mêmes, d’autre part, sachant que celles-ci disposent de leurs propres réseaux de communication à l’échelon régional, tel l’ACROFA (Association des Croix Rouges et Croissants Rouges francophones d’Afrique). Au milieu d’un tel écheveau, le CICR doit gérer des demandes parfois contradictoires. De par son insertion dans une structure composée de sociétés nationales, il évoque la position un peu ambiguë du Bureau international du travail vis-à-vis des syndicats. De fait, il n’est pas représentatif des Croix Rouges, rôle dévolu à la FICR, mais il en est le gardien des valeurs et il adoube leur existence en les reconnaissant officiellement.

-En principe, l’organe suprême du mouvement devrait être la Commission permanente, qui est chargée depuis 1928 d’assurer le lien entre deux conférences internationales des Croix Rouges. D’abord présidé par le Belge Pierre Nolf, puis par le Japonais Iyesato Tokugawa à partir de 1934, le Britannique Arthur Stanley à partir de 1938, le Suédois Folke Bernadotte à partir de 1946, le Français André François-Poncet à partir de 1948, la Britannique Angela Olivia, comtesse de Limerick, à partir de 1965, l’Australien Geoffrey Newman-Morris à partir de 1973, le Britannique Evelyn Shuckburgh à partir de 1977, le Jordanien Ahmed Abu-Goura à partir de 1981, l’Allemand Botho de Sayn-Wittgenstein-Hohenstein à partir de 1993 et la Hollandaise Margriet van Vollenhoven, princesse d’Orange-Nassau, à partir de 1995, ce bureau n’a cependant qu’un rôle purement formel. C’est seulement en 1961 qu’il a tenu sa première réunion en dehors du cadre d’une conférence internationale, en l’occurrence à Prague. Les projets visant à le renforcer pour lui donner le pouvoir de superviser le CICR et la FICR n’ont jamais abouti. Tant le Comité que la Fédération s’y sont toujours opposés, le premier pour préserver son indépendance politique, la seconde pour garder sa fonction dirigeante à la tête des sociétés nationales. Avec la débandade du mouvement lors de l’annulation de la vingt-sixième conférence internationale des Croix Rouges, initialement prévue à Budapest en 1991, la Commission permanente est simplement revenue sur le devant de la scène en se transformant en forum de discussion, aujourd’hui connu sous le nom de Conseil des délégués.

-Historiquement, les relations du CICR avec le mouvement s’appréhendent d’abord du côté des organisations de la Croix-Rouge car la FICR et son ancêtre, la LCR, ne datent que de 1919. D’après les dispositions de la quatrième conférence internationale des Croix Rouges en Allemagne en 1887, c’est le Comité de Genève qui est chargé d’accréditer les sociétés nationales. Depuis lors, rien n’interdit théoriquement à la FICR d’admettre un nouveau membre sans l’aval du CICR, ce qui, sous réserve d’inventaire, ne s’est jamais produit. Mais en dernier recours, seul le CICR est habilité à reconnaître une société nationale, avec ou sans l’assentiment de la Fédération. Les autres organisations constitutives de la FICR n’ont pas leur mot à dire à ce stade, en attendant de voter et ratifier en assemblée générale l’admission d’un nouveau membre. En principe, une Croix-Rouge pourrait ainsi être reconnue par le CICR sans adhérer à la Fédération, qui n’a pas de droit de veto en la matière et qui se plaint de ne pouvoir statutairement décider librement du choix de ses membres.

-En d’autres termes, le Comité de Genève verrouille en quelque sorte l’accès au mouvement. Sa position lui confère un rôle essentiel et central, tant vis-à-vis des Etats que des sociétés nationales. Elle est éminemment politique car elle revient à sélectionner et avaliser les entités susceptibles d’appartenir au mouvement. Aux conférences internationales des Croix Rouges, par exemple, le CICR doit approuver la venue de délégations qui ne peuvent être invitées sur la seule base de la participation de leur gouvernement à l’Assemblée Générale des Nations Unies, puisque certains Etats sont signataires des Conventions de Genève mais pas membres de l’ONU, à l’instar du Vatican ou de la Suisse jusqu’à son adhésion en 2002. Concernant des pays comme la Palestine ou Taiwan, de tels choix ont donné lieu à de nombreuses controverses, ainsi qu’on l’a vu dans la partie chronologique consacrée à l’histoire du Comité. Pareillement, la reconnaissance des sociétés nationales a aussi été source d’innombrables problèmes car l’homologation d’une Croix-Rouge ou d’un Croissant Rouge est un attribut constitutif de la légitimité d’un Etat sur la scène internationale. La question est devenue si sensible que le CICR ne se risque même plus à en indiquer le nombre total dans ses rapports d’activités !

-De ce point de vue, il convient de revenir sur des processus d’accréditation avec lesquels le Comité a pu prendre quelques libertés au fil du temps. En suscitant la formation de Croix Rouges au Monténégro et en Serbie sur des territoires qui ne sont pas encore souverains et qui continuent de dépendre formellement de l’Empire Ottoman, le CICR enfreint dès 1876 la règle selon laquelle il ne peut reconnaître qu’une société nationale par Etat indépendant et signataire des Conventions de Genève. Le biais européen est assez évident. La Croix-Rouge islandaise est reconnue en 1925 alors que l’île deviendra officiellement une République indépendante du Danemark près de vingt ans plus tard, en 1944. De même, la société norvégienne est reconnue en 1867 bien que le pays dépende de la Suède jusqu’en 1905. Les colonies de peuplement européen bénéficient également d’un traitement de faveur, en particulier les dominions britanniques. Respectivement lancées en 1885, 1896 et 1914, les sociétés canadienne, sud-africaine et australienne sont reconnues par le CICR dès 1927 et 1928. Les Croix Rouges des autres colonies doivent quant à elle attendre le moment des indépendances pour devenir membres à part entière du mouvement. Le nombre de sociétés nationales explose alors quand les branches outre-mer s’affranchissent de la tutelle de leur organisation mère en métropole. Après l’indépendance, obtenue le 9 novembre 1953, la Croix-Rouge cambodgienne, fondée le 18 février 1955 par le Docteur You Chhin, s’émancipe ainsi de son homologue française et est reconnue par le gouvernement le 16 juin 1958 puis par le CICR le 7 octobre 1960. Constituée en juillet 1950 comme une branche de la maison mère à Londres, la Croix-Rouge de Hongkong fait exception à cet égard, puisqu’au lieu de s’autonomiser, elle passe sous le giron de la société chinoise quand l’enclave britannique est restituée à la Chine populaire en juillet 1997. Dans la très grande majorité des cas, la tendance est à la scission. Suite à la partition de l’Empire des Indes, notamment, la Croix-Rouge indienne non seulement se sépare de son homologue britannique, mais aussi donne naissance à trois autres entités en Birmanie, au Pakistan et au Sri Lanka. Chacune suit bientôt sa propre trajectoire. Par opposition à l’Inde, avec qui le gouvernement d’Islamabad a plusieurs conflits frontaliers, la Croix-Rouge pakistanaise, qui est reconnue par le CICR en juillet 1948, change en l’occurrence d’emblème pour s’aligner sur la position des services de santé de l’armée, qui ont adopté le Croissant. A priori, l’accréditation d’une société nationale déjà existante semble aller de soi à l’indépendance. Parce que la Grande-Bretagne a ratifié les Conventions de Genève au nom de l’Inde en 1931, par exemple, la Birmanie en devient automatiquement partie lorsqu’elle s’affranchit de la tutelle de New Delhi en 1937 puis de Londres en 1948. Mais rapidement, les choses ne sont plus aussi simples. Dépositaire des Conventions de Genève, le Conseil fédéral suisse, d’abord, demande aux Etats nouvellement indépendants une déclaration de continuité pour que les engagements pris par leurs prédécesseurs soient toujours applicables. Signée à Vienne le 23 août 1978, une Convention des Nations Unies oblige par ailleurs à revalider les traités conclus auparavant. Suivant le principe de la table rase, le renouvellement n’est plus automatique. A partir de 1980, le CICR doit donc renoncer à considérer qu’à moins d’être répudiées, les Conventions de Genève restent en vigueur dans les territoires qui accèdent à l’indépendance. Désormais, le CICR se voit contraint d’exiger des déclarations formelles d’application, y compris à titre provisoire, qui conditionnent la reconnaissance d’une organisation de la Croix-Rouge ou du Croissant Rouge, à l’instar de la société nationale du Belize en mars 1984.

-La question prend une tournure bien particulière dans les cas de guerres civiles et dans les territoires qui sont de facto gérés de façon indépendante, tels le Kurdistan ou le Somaliland à partir de 1991. Des Croix Rouges ont ainsi été montées par des forces d’occupation comme les Japonais en Mandchourie dans l’Etat fantoche du Mandchoukouo à partir de 1932 ou les Turcs dans le Nord de Chypre à partir de 1974. Soucieux de leur légitimité sur la scène internationale, les mouvements de sécession, eux, ont également donné naissance à des organisations plus ou moins inspirées des idéaux de Henry Dunant, à l’instar de cette éphémère Croix-Jaune apparue lors d’un soulèvement sur l’île des Célèbes en Indonésie en 1950. A défaut de les reconnaître, le CICR a opéré un tri. En cas de nécessité, il a pu traiter avec des sociétés qui émanaient de guérillas, tel le Croissant Rouge palestinien au moment de la crise de Septembre noir en Jordanie en 1970 puis au Liban après 1975. En revanche, il n’a pas donné suite à une pétition envoyée en 1974 par les Kurdes d’Irak en faveur de leur « Croix-Rouge ».

-Le fonctionnement en réseau du CICR n’est pas moins difficile avec la FICR, le troisième grand pilier du mouvement international de la Croix-Rouge. Les relations entre les deux institutions ont souvent été marquées par un esprit de compétition, des conflits de compétences et, de façon plus ponctuelle, des querelles de personnes, par exemple entre leurs présidents Cornelio Sommaruga et Mario Enrique Villarroel Lander au début des années 1990. Nourries d’un « climat de suspicion mutuelle », pour reprendre la formule du rapport de Donald Tansley, elles ont connu bien des aléas depuis la création en mai 1919 d’une Ligue des Croix Rouges à laquelle devaient succéder en octobre 1983 la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge puis en novembre 1991 la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge. Plusieurs accords en date du 27 octobre 1928, du 8 décembre 1951, du 25 avril 1969, du 20 octobre 1989 et du 26 novembre 1997 ont tenté d’harmoniser et de préciser les attributions de chacun. Au CICR revient en principe la distribution des secours et la promotion du droit humanitaire en temps de guerre ; à la FICR, les catastrophes naturelles, le développement durable, la lutte contre la pauvreté et la coordination des efforts des sociétés nationales en temps de paix. Mais, en pratique, les deux organismes ont pu faire double emploi. Ils n’ont jamais réussi à départager nettement leurs tâches en ce qui concernait les catastrophes naturelles au cours d’un conflit armé ou la protection juridique des prisonniers en temps de paix. Dès 1919, le CICR a refusé de limiter ses activités aux pays en guerre, arguant qu’il avait déjà secouru des victimes de catastrophes naturelles avant la création de la Ligue des Croix Rouges. Traditionnellement, a-t-il souligné, il assumait trois rôles en temps de paix : la communication entre les sociétés nationales, l’organisation des conférences du mouvement et la publication du Bulletin international. De plus, rappelle Bridget Towers, le CICR avait commencé à lancer des campagnes de santé publique dès 1869. Après la Première Guerre mondiale, il allait donc continuer en ce sens en soutenant les initiatives de Save the Children et en envoyant des secours aux victimes d’une épidémie de typhus en Pologne en 1920.

-De fait, le CICR a souvent empiété sur les plates-bandes de la FICR, et vice versa. Il paraît certes logique que le Comité aide les victimes de catastrophes naturelles dans les régions en guerre où il intervient déjà. Mais son action est moins compréhensible dans les pays en paix. Or le CICR est souvent intervenu dans des zones éloignées de tout combat. Il a ainsi envoyé des secours pour les victimes d’inondations en Hollande en février 1953, en Irak en mars 1954, au Bengale oriental dans l’actuel Bengladesh en juin 1954, en Autriche en juillet 1954, en Assam et au Bengale occidental en Inde en août 1954, en Inde et au Pakistan en août 1955, au Bengladesh en novembre 1970, à Haïti en mai 1972, sur l’île de Socotra au Yémen en novembre 1972, dans la région d’Asunción au Paraguay en mai 1979, le long du littoral Atlantique au Honduras en octobre 1988, dans l’Ogaden éthiopien en janvier 1998, dans le sud de la Russie en juin 2002, etc., etc. Le CICR a également assisté des zones touchées par la sécheresse comme la plaine côtière de la Tihama au Yémen du Nord en août 1970, les forêts de l’Irian Jaya en Indonésie en mars 1998 ou les districts pokots de la province du Turkana au Kenya en juillet 1999, sans parler de l’Erythrée et de l’Ethiopie d’avril à juin 2003, au sortir du conflit qui avait opposé ces deux pays. Sa présence dans des pays en reconstruction ou en proie à des troubles politiques peut sans doute expliquer pourquoi le Comité a envoyé des secours aux victimes de glissements de terrains dans les districts de Garm et la vallée de Karategin au Tadjikistan en mai 1998 ou de tremblements de terre à Rostak au nord de l’Afghanistan en février 1998 et dans la partie pakistanaise du Cachemire en octobre 2005. En revanche, on saisit mal pourquoi le CICR s’est impliqué dans des catastrophes naturelles qui ont ravagé des régions loin de tout théâtre d’opération militaire, à moins de considérer que toute violence d’ordre criminel ou accidentel justifie une intervention, ce qui reviendrait à couvrir l’ensemble de la planète ! Lors des tremblements de terre qui ont frappé l’Iran, par exemple, il semblait normal que Genève envoie des secours à Golbaf en juin 1981, pendant la guerre contre l’Irak, mais pas à Bam en décembre 2003. La question se pose aussi à propos des programmes du CICR en faveur des victimes d’une éruption volcanique du Mont Pinatubo aux Philippines en juin 1991 ou des rescapés de tremblements de terre sur les îles Ioniennes et en Thessalie en Grèce en août 1953 puis avril 1954, à Orléansville en Algérie en septembre 1954, à Skopje en Macédoine en juillet 1963, à Managua au Nicaragua en décembre 1972 et au Yémen du Nord en décembre 1983.

-Dans le même ordre d’idées, le Comité de Genève a pu s’investir en temps de paix dans des programmes de santé publique ou de développement agricole qui, a priori, relevaient des sociétés nationales et de la FICR. Après avoir conduit une enquête sur les conditions de santé des Indiens de l’Amazonie au Brésil en août 1970, il a ainsi participé à des campagnes de vaccination au Honduras en avril 1972 puis de lutte contre la malaria dans la province de Tây Ninh au Vietnam en mars 1976. Au fil des ans, son rayon d’action s’est élargi. Suite aux formations professionnelles qu’il avait pour la première fois initiées en faveur de jeunes handicapés à Kaboul en 1996, il s’est notamment doté d’une unité de « sécurité économique » afin de préserver ou rétablir l’autosuffisance alimentaire des victimes de guerres. En 1997, il menait donc des programmes de vaccination vétérinaire et de lutte contre la mouche tsé-tsé pour améliorer la santé du bétail en Ethiopie ou au Mali. En 1999, encore, il construisait des puits afin d’assainir l’eau lors d’une épidémie de choléra dans les îles de Pemba et Ugunja à Zanzibar. Bientôt, le CICR s’est trouvé une vocation en vue d’assurer un relais entre les périodes de réhabilitation et de développement dans le cadre des efforts de reconstruction post-conflits. S’il a admis dans son rapport d’activités de l’année 1998 que la lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité n’étaient pas de son ressort, il a considéré qu’il lui incombait « de s’assurer, dans la mesure du possible, que des agences de développement prennent en charge une population fragile, une fois la crise passée ».

-La FICR, pour sa part, ne s’est pas gênée pour empiéter sur les plates-bandes du CICR. En Pologne en 1982, elle a ainsi été invitée à visiter des prisonniers politiques, domaine qui relevait des prérogatives du Comité. De plus, la Fédération est souvent intervenue en temps de guerre sans l’aval du Comité. Si les deux institutions ont travaillé en bonne entente au moment du soulèvement communiste en Grèce en 1947, de la création de l’Etat d’Israël en 1948, de la crise hongroise de 1956, de l’indépendance de l’Algérie en 1962, de l’insurrection de Septembre Noir en Jordanie en 1970 et de l’effondrement du régime des talibans en Afghanistan en 2001, elles sont en revanche parties en ordre dispersé à l’occasion des guerres de Corée en 1950, du Biafra en 1968, du Bengladesh en 1971, du Vietnam avant 1972, d’Ethiopie en 1984 et du Golfe en 1991. A plusieurs reprises, elles se sont avérées incapables de coordonner leurs secours et ont pu se gêner mutuellement. En novembre 1950 au début du conflit entre les Corées du Sud et du Nord, par exemple, la LCR a lancé un appel aux sociétés nationales afin d’obtenir des vivres sans en avoir préalablement informé le CICR. A la fin des hostilités en juillet 1953, le Comité a ensuite dû confier aux Croix Rouges présentes sur le terrain le soin de rapatrier les prisonniers de guerre car Genève avait été récusé par les communistes. En Ethiopie en juin 1988 du temps de la dictature « marxiste » du colonel Mengistu Hailé Mariam, la Ligue a également contrecarré la position du CICR, qui refusait de travailler sous la tutelle politique des autorités et qui venait d’être expulsé après avoir suspendu ses opérations. Sans même en avertir les dirigeants du Comité, qui lui remirent à contrecœur leurs vivres sur place, la LCR s’est en l’occurrence empressée de prendre le relais en finançant la Croix-Rouge éthiopienne dans des conditions que, précisément, Genève n’avait pas acceptées parce qu’elles servaient les intérêts de l’armée et enfreignaient les principes de neutralité du mouvement. Au moment de la première crise du Golfe, encore, la Fédération a unilatéralement rompu en mars 1991 l’accord signé avec le CICR deux mois auparavant et elle s’est mise en tête de collecter des fonds pour mener ses propres programmes de façon indépendante, avant d’en être dissuadée par les sociétés membres.

-De telles tensions, relève Christophe Girod, pénalisent gravement le mouvement. « Elles sapent la crédibilité des deux institutions auprès des gouvernements donateurs, elles ruinent la cohérence dans les négociations politiques avec certaines autorités enclines à opter pour l’institution qui offre ses services aux moindres conditions, et elles engendrent la dispersion des forces et des énergies des Sociétés nationales donatrices et participantes —qui ont de plus à faire face, dans leur pays respectif, à la concurrence médiatique et financière d’ONG très actives ». De fait, les appels de fonds que le CICR et la FICR ont pu lancer en leur nom propre ont ajouté à la confusion des bailleurs. Ils ont contribué à dupliquer les programmes, augmenter les coûts et diviser un mouvement incapable de parler d’une seule voix. A défaut de fusionner le CICR et la FICR, il aurait pourtant été plus efficace de mettre des services en commun afin de favoriser les économies d’échelle en matière de logistique, d’achats, de communications ou de statistiques, ainsi que le recommandait le rapport de Donald Tansley. Mais la rivalité entre les deux institutions s’est nourrie de querelles de personnes, de l’incapacité de la Fédération à coordonner les sociétés nationales et du refus viscéral du Comité de céder la moindre prérogative de crainte de perdre son indépendance et de compromettre sa neutralité.

-Le « splendide isolement » du CICR et sa répugnance à travailler en collectivité ont été notés par de nombreux observateurs. Par son attitude courtoise, formelle et distante avec les autres institutions, remarque Donald Tansley, le Comité a découragé « la discussion libre et franche des problèmes communs ». « Il n’y a [eu] coopération que lorsque c’est le CICR qui [demandait] lui-même des renseignements ou de l’assistance ». Sinon, le Comité n’a pas, de sa propre initiative, fait l’effort de s’insérer dans des efforts de coordination. Au contraire, il a cherché à contourner ou doubler ses concurrents. C’est par compétition avec les ONG religieuses qu’il a pris de gros risques pour alimenter les sécessionnistes pendant la guerre du Biafra, par exemple. Il a également désapprouvé les velléités des organisations intergouvernementales à vouloir pénétrer dans les prisons, arguant que leur caractère politique allait gêner l’accès aux détenus. Le CICR, explique un de ses délégués, Hans-Peter Gasser, a ainsi vu d’un mauvais œil le Conseil de l’Europe empiéter sur ses prérogatives sous prétexte de combattre l’usage de la torture. Au Rwanda, rapporte Simone Delorenzi, il a réagi pareillement aux enquêtes du Centre des droits de l’homme de l'Université de Louvain, dont les visites de prison effectuées en parallèle ont abouti à des recommandations avec des standards moindres. Et il a évidemment critiqué les initiatives en ce sens de la FICR, qui était plus liée à des contingences nationales et donc pas assez neutre. Preuve de la méfiance qu’elles inspiraient, la Fédération et les sociétés de la Croix-Rouge ont d’ailleurs été peu sollicitées par des opposants pour assister des détenus d’opinion, à hauteur de 25% des cas contre 40% pour le CICR selon l’étude de Jacques Moreillon sur la période allant de 1958 &a grave; 1970.

-Quoiqu’il en soit de ses arguments, le Comité a en tout cas été critiqué à maintes reprises pour son refus de se joindre à des efforts de coordination et d’informer les autres organisations humanitaires sur ses objectifs et ses politiques opérationnelles. Depuis la première crise du Golfe en 1991, relève Michèle Mercier, les bailleurs lui ont notamment reproché son absence de vision stratégique, ses réactions au coup par coup, son ambition d’être présent absolument partout et sa tendance à dupliquer les programmes, souvent à un prix plus élevé que les « concurrents ». Selon un questionnaire réalisé en 2003 et cité par Michèle Mercier, plus de la moitié des activités d’assistance du CICR pouvaient en réalité être conduites par d’autres organisations dans près de 50% des situations. Certes, le bilan n’est pas complètement négatif. A l’occasion, le Comité a pu coopérer avec des agences intergouvernementales comme le HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) au Bangladesh en 1971 ou l’UNICEF (United Nations Children's Fund) au Cambodge en 1979. Avec la deuxième crise du Golfe à partir de 2003, il a également entrepris de partager en temps réel des informations sur les besoins et l’état des infrastructures sanitaires de l’Irak. Lors de son assemblée générale de Séville en novembre 1997, la FICR a, pour sa part, confirmé la position de leadership du CICR pour diriger des opérations de secours en temps de guerre, et elle a défini plus précisément le début et la fin d’une situation de conflit afin de départager les compétences en cas de « troubles internes ». Aux Nations Unies, la nomination en 2003 d’un ancien secrétaire général de la Croix-Rouge norvégienne, Jan Egeland, à la tête du Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA) a aussi facilité les rapprochements avec le Comité de Genève. Les contacts et les liens personnels ont certainement contribué au dialogue avec d’autres instances. Il est en effet arrivé que des membres du CICR participent à la création d’ONG, à l’instar de Jacques Freymond, qui a contribué en 1959 au lancement d’une fondation spécialisée sur les problèmes du tiers-monde, Swisscontact, avec le soutien de la Division de la coopération du Département fédéral des Affaires étrangères. Après avoir quitté le Comité, d’autres ont quant à eux poursuivi leur carrière à la tête de divers organismes à but non lucratif, à l’instar de Jacques Moreillon à l’Organisation mondiale des scouts de 1988 à 2004, ou de Louise Doswald-Beck à la Commission internationale des juristes de 2000 à 2003. De telles passerelles n’ont cependant pas toujours été très constructives, ainsi que le montre le cas de Jean-Pierre Hocke. Précédé d’une réputation de pragmatisme qui lui a valu d’être nommé Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés en 1986, l’ancien directeur du département des Opérations du CICR, explique Gil Loescher, a en l’occurrence recruté du personnel à tout va et provoqué une crise financière afin de récompenser les représentants des pays du tiers-monde qui avaient favorisé son élection ; pire encore, il a cédé aux pressions des services d’immigration des Etats membres et violé le mandat traditionnel de l’institution en autorisant le rapatriement pas toujours volontaire de demandeurs d’asile placés sous la protection du HCR.

-Au sein du mouvement de la Croix-Rouge, les difficultés de coordination tiennent aussi, il faut le reconnaître, à la FICR et aux sociétés nationales. Au fil du temps, explique Antoine Bosshard, le CICR a dû subir la compétition grandissante de Croix Rouges de plus en plus nombreuses. Focalisées sur leur pays de siège, la plupart ne consacrent certes qu’une part résiduelle de leurs ressources à des activités internationales, à raison d’une cinquantaine de personnes sur 14 000 salariés pour la Croix-Rouge française en 1995, par exemple. Mais la tendance à monter des programmes à l’étranger s’est confirmée à mesure que se développait la capacité opérationnelle et financière des uns et des autres. Pour ses missions à travers le monde, la Croix-Rouge française a ainsi dépensé près de 4% d’un budget de 907,3 millions d’euros en 2005, contre moins de 2% d’environ 526 millions d’euros en 1995. Le département des activités internationales de son homologue belge s’est quant à lui constitué en association séparée en 1997 et il disposait d’un volant financier de 6,1 millions d’euros en 2006. Résultat, le CICR a eu toutes les peines du monde à imposer son leadership pour diriger des opérations de secours en temps de guerre. Faute d’autorité centrale et de modèle de référence, le mouvement de la Croix-Rouge s’est avéré si peu coordonné et si hétérogène qu’il a pu perdre de vue ses objectifs premiers ; dans son rapport publié en 1975, Donald Tansley craignait même qu’il ne soit menacé de désintégration. Soucieux d’établir la frontière de leurs responsabilités respectives, le CICR et la FICR ont en effet mis en avant leurs différences plutôt que leurs points communs. De plus, il a fallu attendre 1946 pour que la Ligue des Croix Rouges précise vaguement les rôles fondamentaux et les attributions des sociétés nationales avec une résolution de son Conseil des Gouverneurs à Oxford. Depuis lors, les conflits de compétences ont perduré malgré l’adoption d’un Plan quadriennal d’action à l’occasion du cinquantième anniversaire des Conventions de 1949, lors de la vingt-septième conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge à Genève du 31 octobre au 6 novembre 1999.

-Censé coordonner les sociétés nationales et diriger les secours en temps de guerre, le CICR a ainsi été confronté à maintes initiatives intempestives. Les sociétés nationales ne lui ont pas toujours rendu de comptes. Elles ont souvent mené leur propre stratégie sans en référer à Genève et sans chercher à coordonner leurs efforts entre elles. Divisées par des clivages idéologiques, religieux ou nationalistes, elles ont pu prendre parti pour des belligérants et se retrouver dans des camps opposés, à l’instar des Croix Rouges soviétique, américaine et philippine au Vietnam, la première du côté de Hanoi, les deux autres du côté de Saigon. Lors de la crise du Biafra, par exemple, la Croix-Rouge française a ouvertement soutenu les sécessionnistes, refusé de participer au pont aérien organisé par le CICR au Nigeria et préféré envoyer directement aux rebelles des vivres depuis le Gabon. Dans le même ordre d’idées, la Croix-Rouge soviétique n’a pas pris la peine d’aviser Genève de ses décisions pour dépêcher des équipes médicales au Bengladesh au moment de la sécession du Pakistan oriental en 1971. Depuis lors, la situation ne s’est pas améliorée. Les deux crises du Golfe en témoignent à leur manière. Dans un premier temps, les sociétés nationales n’ont pas cherché à se concerter avec Genève pour tenter de secourir leurs ressortissants retenus en otage par le régime de Saddam Hussein à partir de septembre 1990. Avec l’accord de Bagdad et malgré l’opposition du Comité de l’ONU chargé d’imposer des sanctions contre l’Irak, la Croix-Rouge indienne a ainsi affrété un bateau qui, en l’absence de convoyeurs du CICR, allait errer un certain temps en mer avant de pouvoir débarquer ses vivres dans le port d’Um-el-Qasr. Au Koweït après le départ des troupes de Saddam Hussein, encore, la Croix-Rouge américaine ne jugeait pas non plus utile de se coordonner avec le Comité de Genève pour envoyer des médecins et participer à la reconstruction du pays. De leur côté, les équipes médicales des Croissants Rouges maghrébins manifestaient rapidement l’envie de quitter la région afin d’échapper aux instructions de la dictature et de ne pas avoir à soigner les seuls blessés du camp gouvernemental lors de l’insurrection chiite puis de la répression du Sud irakien en mars 1991. Dans le Nord, au contraire, les Croix Rouges des pays développés devaient s’investir massivement dans l’Opération Provide Comfort, qui visait à sanctuariser les territoires kurdes sans l’accord du gouvernement Saddam Hussein. Soumises à une forte pression populaire et médiatique, elles allaient collaborer étroitement avec les armées occidentales déployées dans la zone alors que le CICR cherchait précisément à s’en dissocier pour ne pas compromettre sa neutralité et pouvoir continuer de travailler dans le Sud avec les autorités de Bagdad. De tels problèmes devaient à nouveau se poser lors de la deuxième crise du Golfe, avec le débarquement de troupes américaines et alliées en Irak à partir de 2003. Placée sous la protection militaire du contingent de son pays, la Croix-Rouge italienne, notamment, a refusé de coordonner ses efforts avec le CICR…

-La FICR, il faut le noter, n’a guère réussi à faire mieux. Au vu de l’autonomie des sociétés nationales qui la composent, elle a beau appliquer la règle de la majorité, elle évoque plus une confédération qu’une fédération. Elle a donc peu de pouvoirs sur ses membres pour superviser des opérations de secours et garantir leur impartialité. Au mieux, elle maintient des passerelles de dialogue en finançant des réunions à répétition qui, selon Donald Tansley, ont pu accaparer jusqu’à la moitié de son budget ordinaire afin d’impliquer un maximum de sociétés nationales, à défaut d’être utiles et d’aboutir à la moindre résolution. Lors du conseil de ses gouverneurs à Oslo en mai 1954, la Ligue s’est certes dotée d’un secrétariat afin de coordonner l’action de ses membres en temps de paix. Mais elle a eu les plus grandes difficultés à canaliser les demandes d’assistance et à interdire les envois de vivres qui n’étaient pas sollicités et qui ne passaient pas directement d’une Croix-Rouge à l’autre. Après le tremblement de terre d’Agadir au Maroc en février 1960, par exemple, les sociétés nationales ont continué de n’en faire qu’à leur tête et ont fourni des vêtements trop chauds ou du fromage fondant au soleil. La réorganisation administrative de la FICR en avril 1983 a entériné cet état de fait en scindant le département des secours en six bureaux régionaux et en limitant le rôle de coordination de la Fédération à une fonction de vérification a posteriori. Depuis lors, on ne peut pas dire qu’il y ait eu de progrès substantiels. En témoigne le tsunami asiatique de décembre 2004, quand la Croix-Rouge indonésienne a dû rédiger une circulaire pour demander aux sociétés nationales d’arrêter d’envoyer n’importe quoi, sans évaluation des besoins réels et sans concertation avec les autorités sur place. Poussées par une extrême médiatisation de la catastrophe à l’échelle planétaire, 100 des 184 organisations membres de la FICR ont en effet sollicité la générosité du public afin de venir au secours des victimes. Résultat, un bon nombre de sociétés nationales sans expérience à l’étranger ont profité de l’occasion pour démarrer leurs premières opérations dans des pays en développement, à l’instar de la Croix-Rouge irlandaise. Soucieuses de dépenser rapidement les fonds reçus, elles ont monté leurs propres programmes et dupliqué les efforts dans des régions où les besoins étaient déjà couverts et où la FICR déclinait leur assistance. Leurs performances humanitaires, relèvent John Telford et al., n’en ont été que plus mauvaises. Des 21 000 maisons que dix des plus importantes Croix Rouges se sont engagées à reconstruire, moins de 500 étaient achevées en 2006. Surdimensionnée, la réponse médicale a été tout aussi inadaptée car les tsunamis n’entraînent généralement pas d’épidémies et nécessitent peu de soin, avec un rapport d’un décès pour quatre blessés contre un pour huit dans le cas de tremblements de terre. Les hôpitaux d’urgence de la Croix-Rouge française sont ainsi restés sous utilisés. Quant aux distributions alimentaires de la FICR, elles ont miné l’autorité des chefs de village et dissuadé les paysans de retourner travailler les champs.

-En l’absence d’autorité centrale, le mouvement de la Croix-Rouge ne pourra vraisemblablement pas résoudre ses problèmes de coordination. En effet, chaque société nationale est libre de collaborer avec son équivalent dans un pays en guerre. Autrement dit, les efforts de coordination ne doivent pas seulement être appréhendés au niveau de la FICR ou du CICR, mais aussi au niveau des Croix Rouges entre elles. Or la marge de manœuvre des sociétés nationales est structurellement limitée par des contraintes politiques, organisationnelles et juridiques qui entravent les possibilités d’action humanitaire et font l’objet de la quatrième partie de cette analyse. Pendant la guerre froide, on a ainsi vu se dessiner des alliances Est-Ouest qui, en guise de coordination, répondaient à des considérations idéologiques et non à des besoins sur le terrain. En outre, les tentatives de coopération entre les sociétés nationales de pays en conflit se sont avérées hautement improbables : cas extrême, les Croix Rouges allemande et soviétique n’ont pas du tout communiqué pendant la Seconde Guerre mondiale. Par la suite, la période de la décolonisation a également révélé des tensions Nord-Sud. Les relations de « partenariat » entre les Croix Rouges des pays industrialisés et leurs homologues du tiers-monde ont souvent été empreintes de méfiances et d’accusations d’impérialisme ; à la suite d’un premier symposium sur le développement organisé à Montreux en 1975, il a d’ailleurs fallu se résoudre à employer des euphémismes en parlant de « participants » et « d’opérateurs » plutôt que de « donateurs » et de « bénéficiaires ». Les rapports de force n’en ont été que plus évidents sur les lignes de fracture symbolique entre le Nord et le Sud. Exemple parmi d’autres, que relate Ellwyn Stoddard, les autorités mexicaines ont d’abord refusé l’aide de la Croix-Rouge américaine à l’occasion de l’Ouragan Gladys qui avait ravagé la côte au nord de Tampico en septembre 1955. Celle-ci avait en l’occurrence heurté les sensibilités nationales en voulant coordonner l’ensemble des secours et imposer son emblème à tous les secouristes. C’est sous la pression des victimes que le gouvernement mexicain a finalement dû renoncer à superviser l’aide des Etats-Unis…