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American Friends Service Committee
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Historique

American Friends Service Committee - Historique




Années 1930


-1930-1962, Inde : suite à une rencontre à Londres en 1930 entre Clarence Pickett, secrétaire exécutif du Comité de Philadelphie, et le philosophe Rabindranath Tagore (1861-1941), prix Nobel de littérature en 1913, l’AFSC envoie un docteur à Santiniketan dans le Bengale. Les Quakers, qui ont côtoyé Mohandas Karamchand Gandhi à Londres vers 1890 puis en Afrique du Sud pendant la guerre des Boers en 1901, s’avèrent très favorables à l’indépendance de l’Inde. Vis-à-vis du colonisateur britannique, leur position gêne d’ailleurs le déploiement des équipes du FSC et de la FAU arrivés dans le pays pendant la Seconde Guerre mondiale au titre de la défense civile contre d’éventuels bombardements japonais. Ceux-ci distribuent en l’occurrence des vivres dans les districts de Tamluk et Contai à l’occasion des inondations qui entraînent la disparition d’une quinzaine de milliers de personnes à Midnapore le long de la rivière Hooghly les 15 et 16 octobre 1942. Avec la Croix-Rouge indienne à partir de janvier 1944, l’AFSC reprend alors les activités de la FAU à Calcutta en faveur des victimes de la famine au Bengale, qui fait quelque 300 000 morts en 1943 et qui résulte en partie des restrictions et des réquisitions du colonisateur. Pour des raisons tactiques, l’aide gouvernementale convoyée par les FAU n’est pas distribuée par l’intermédiaire des organisations proches du Congrès, qui réclame l’indépendance, mais du parti communiste, réputé pour son intégrité et devenu l’allié de Londres depuis l’entrée en guerre de l’URSS contre l’Allemagne hitlérienne en 1941. Lors des combats qui mènent à la séparation de l’Inde et du Pakistan après l’indépendance, l’AFSC s’occupe ensuite de réfugiés hindous comme musulmans, notamment des Pendjabi en octobre 1947. Dans le fort de Purana Qila à Delhi, il organise par exemple l’accueil dans des tentes de quelque 6 500 musulmans déplacés par les violences. Puis il s’oriente vers des actions de développement à plus long terme et conduit de 1952 à 1962 des projets de santé, d’agriculture et d’éducation à Rasulia et Barpali, respectivement dans les districts de Hoshangabad et Sambalpur dans les Etats de Madhya Pradesh et d’Orissa. Financés par l’agence de coopération américaine de l’époque, la TCA (Technical Cooperation Administration), les programmes qui démarrent en septembre 1952 à Barpali bénéficient notamment de l’appui du chef du gouvernement de l’Orissa, Nabakrushna Chaudhury, qui règle les droits de douane de l’AFSC, fournit du personnel qualifié et met à disposition des terres. Les équipes déployées sur place doivent en conséquence s’employer à rassurer la population locale, qui craint des tentatives de conversion au christianisme et des intrusions du pouvoir régional pour acheter le vote de la communauté, s’emparer des terres cultivables, abolir le système des castes, propager l’idéologie égalitariste du Mahatma Gandhi et rembourser des dettes contractées auprès des Etats-Unis en revendant les meilleurs champs de la région…

-A partir de 1931, Canada : bientôt rejoints par les « conservateurs », les Quakers « orthodoxes » et « hicksites » de Toronto lancent un Canadian Friends Service Committee, le CFSC. Etabli sur le modèle de l’AFSC, cet organisme est officiellement créé le 20 août 1931, année où la Grande-Bretagne accorde une plus grande indépendance à son dominion. Il est dirigé jusqu’en 1956 par Fred Haslam, un Britannique qui avait émigré au Canada après avoir été emprisonné pour avoir refusé d’effectuer son service militaire pendant la Première Guerre mondiale.

-1932-1933, Etats-Unis : le président Herbert Hoover, dont Rufus Jones est un ami personnel, qui a fréquenté les mêmes écoles, subventionne l’AFSC à hauteur de $225 000 pour aider les mineurs victimes de la crise économique en Pennsylvanie et en Virginie occidentale. De leur côté, deux anciens collaborateurs du Comité, Charles Rhoads et Henry Scattergood, responsables des secours en France pendant la Première Guerre mondiale, rentrent en 1931 dans l’administration républicaine pour diriger le département des affaires indiennes. Les liens de l’AFSC avec la Maison Blanche n’empêchent certes pas les Quakers de critiquer la politique de Washington, qui maintient des troupes dans les Caraïbes et impose des barrières douanières. Au-delà des clivages partisans, la défaite électorale des Républicains et la victoire des Démocrates ne compromettent d’ailleurs pas la poursuite du programme en faveur des mineurs, en l’occurrence sous la houlette d’Eleanor Roosevelt, dont le mari devient président des Etats-Unis en mars 1933. Avec des financements de l’US Steel Corporation, l’AFSC achète par exemple une ferme de 200 hectares dans le comté de Fayette pour recycler les chômeurs de Pennsylvanie et monter une coopérative modèle qui produit de l’artisanat. Quant au secrétaire exécutif du Comité, Clarence Pickett, il participe très officiellement aux programmes sociaux lancés par le président Franklin Roosevelt.

-1933-1941, Allemagne : l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler place la Société religieuse des Amis dans une situation difficile. Selon Hans Schmitt, un auteur pourtant reconnaissant aux Quakers de l’avoir accueilli et scolarisé quand il a fui Allemagne en 1934, l’AFSC est d’abord réticent à aider les victimes du nazisme. Ainsi, Philadelphie ne finance qu’un tiers du budget du centre quaker à Berlin en 1934, les deux autres tiers étant à la charge de Londres. L’AFSC considère en effet que les communistes, les socialistes et les juifs réprimés par les nazis sont déjà très aidés par leurs organisations respectives. Son attitude suscite d’autant plus d’incompréhensions qu’initialement, les Quakers sont plutôt bien acceptés par Adolf Hitler. En 1934, ils reçoivent même des subventions déguisées lorsque, confrontés à une crise de trésorerie, ils parviennent à conserver leur siège de la rue du Prince Louis Ferdinand à Berlin grâce au soutien du ministère prussien des travaux publics, qui, propriétaire des locaux, réduit le loyer de moitié et finance entièrement la remise à neuf du bâtiment. La prévenance des autorités vient certainement de ce que les nationalistes n’ont pas oublié les efforts des Quakers en faveur des enfants allemands en 1920. De plus, les pacifistes britanniques et américains, qui croient à la bonne foi de Adolf Hitler et luttent contre la politique de réarmement des Alliés, servent les intérêts des nazis lorsque, pour réduire les tensions internationales, ils dénoncent les injustices faites à l’Allemagne au moment du traité de Versailles de 1919. En Angleterre en 1926, le FSC a ainsi aidé des mineurs en grève en leur expliquant que les réparations demandées à Berlin et les livraisons gratuites de charbon à la France abaissaient les cours et les privaient de leurs débouchés traditionnels à l’exportation. De son côté, l’AFSC a présidé un comité qui, lancé avec des organisations socialistes et méthodistes en mars 1931, réclamait la fin des indemnités de guerre et contribuait en juillet suivant au moratoire du président Herbert Hoover avant la conférence de Lausanne qui, en juillet 1932, allait complètement effacer la dette allemande. A un niveau individuel, enfin, il y a l’aveuglement et le comportement troublant de certains volontaires quakers soucieux d’aider toutes les victimes, y compris les prisonniers politiques nazis. Dans son commentaire de Mein Kampf publié dans la revue The Friend du 27 octobre 1933, Carl Heath (1869-1950), le secrétaire général du FSC de 1927 à 1935, écrit par exemple que la plupart des idées de Adolf Hitler “ méritent d’être considérées avec bienveillance ”. Objecteur de conscience plusieurs fois emprisonné en Grande-Bretagne de 1916 à 1918, Corder Catchpool (1883-1952), qui est arrivé en poste à Berlin en 1931, plaide quant à lui la cause des nationalistes allemands emprisonnés à Vienne en 1934, à Memel en 1935 et en pays sudète avant 1938. Correspondant du Manchester Guardian à Berlin, le journaliste Robert Dell le suspecte nommément d’avoir succombé aux pressions de la Gestapo (Geheimstaatpolizei) après avoir été arrêté et interrogé à deux reprises le 3 avril 1933 et le 21 avril 1935. Circonstance aggravante, Corder Catchpool organise la tournée en Grande-Bretagne d’un partisan notoire des nazis, Colin Ross. A partir de 1935, cependant, les relations entre l’AFSC et le régime de Adolf Hitler s’enveniment. En premier lieu, des Quakers commencent à refuser de porter les armes lorsque le service militaire obligatoire est réintroduit en 1935. De plus, les Amis dénoncent les lois de Nuremberg qui, en 1935 également, privent les Juifs de leurs droits civiques. Enfin, l’AFSC est suspecté de faciliter la fuite d’opposants via la région de la Saar, qui, évacuée par la France, est rétrocédée à l’Allemagne après un plébiscite en janvier 1935. Sous la houlette d’une ancienne conseillère municipale socialiste de Berlin, Paula Kurgass (1892-1937), le Service international d’aide aux réfugiés de la Société religieuse des Amis accueille ainsi plus de 200 demandeurs d’asile à Paris au cours de sa brève existence, de 1933 à 1938. En Allemagne, les Quakers se battent quant à eux pour obtenir la libération de quelques socialistes et pacifistes internés dans des camps, notamment Ernst Reuter, maire de Magdeburg jusqu’en 1933 puis de Berlin après 1945. L’AFSC et le FSC gèrent deux foyers, Frankfurter Hof et la Maison de Saint Joseph, respectivement à Falkenstein-im-Taunus de 1933 à 1934 et Pyrmont de 1934 à 1939, qui hébergent des détenus relâchés et convalescents à raison de huit personnes maximum pendant des périodes de quinze jours, soit un total de 800 rescapés en cinq ans. A partir de 1938, l’organisation de Philadelphie s’engage résolument en faveur du sauvetage des Juifs avec des fonds de l’American Jewish Joint Distribution Committee. Elle parvient à évacuer 10 000 enfants vers la Grande-Bretagne et 15 000 autres vers la Hollande. Les opérations se font légalement et l’AFSC abandonne vite l’idée d’établir un centre de transit qui, dans la zone franche de Hambourg, pourrait facilement être transformé en camp de concentration. Un dernier convoi franchit la frontière trois jours avant l’entrée en guerre de la France et de l’Angleterre contre l’Allemagne le 3 septembre 1939. Par la suite, l’AFSC veut alors aider la Pologne occupée par la Wehrmacht. Mais les secours sont complètement contrôlés par les nazis, qui en excluent les Juifs, et les Quakers doivent renoncer à envoyer des vivres en octobre 1939, même s’ils parviennent finalement à organiser quelques distributions de nourriture jusqu’en 1942. Le 5 juin 1941, le dernier Américain de l’AFSC à Berlin, Leonard Kenworthy, quitte l’Allemagne après ses collègues britanniques partis en août 1939. Proche du pasteur luthérien Probest Heinrich Grueber, qui survivra aux camps de Sachsenhausen puis Dachau, celui-ci avait tenté de tenter de secourir les Juifs athées, qui ne bénéficiaient pas de l’aide internationale de leurs coreligionnaires ou des organisations catholiques et protestantes. Après son départ, la poursuite des activités est confiée aux Quakers allemands qui, avec des financements de l’AFSC, continuent tant bien que mal à évacuer quelques réfugiés “ aryens ”, à aider les prisonniers de guerre alliés et à envoyer par des moyens détournés des vivres aux détenus des camps de Theresienstadt et Dachau. Certains prennent l’initiative individuelle de cacher chez eux les Juifs dont ils ne peuvent plus s’occuper officiellement.

-Juillet 1934-Mai 1940, Autriche : dans un pays où il a nourri jusqu’à 64 000 enfants entre 1919 et 1924, l’AFSC tente de ravitailler les familles des nazis emprisonnés après une tentative de putsch au cours de laquelle le chancelier Engelbert Dollfüss a été assassiné le 25 juillet 1934. Après quelques hésitations, le Comité de Philadelphie accepte de faire financer ses programmes par une ONG mennonite, Brüder in Not (“Frères en détresse”), qui a le soutien de Berlin depuis qu’elle s’est chargée de favoriser l’émigration de ses coreligionnaires allemands en URSS jusqu’en 1933, date à laquelle Moscou a fermé ses frontières et laissé cet organisme avec des fonds importants à dépenser. En revanche, l’AFSC ne peut pas s’appuyer sur les Quakers autrichiens qui, à la différence des Amis en Allemagne, comptent quelques nazis et excluent de leurs rangs les fidèles d’origine juive. C’est avec ses propres moyens que le Comité de Philadelphie accueille dans son foyer de Vienne des opposants socialistes, des dissidents puis des Juifs après l’Anschluss qui rattache l’Autriche à l’Allemagne en mars 1938. Du 15 mars 1938 au 28 août 1939, l’organisation parvient à évacuer 2 408 personnes, essentiellement vers l’Angleterre. Quand la France et la Grande-Bretagne entrent en guerre contre l’Allemagne en septembre 1939, les volontaires anglais doivent finalement quitter l’Autriche, suivis de leurs collègues américains en mai 1940, tandis que les Quakers allemands poursuivent les opérations financées par l’AFSC.

-Avril 1935-Novembre 1937, Tchécoslovaquie : comme en Autriche, l’AFSC accepte les financements d’une ONG proche du gouvernement allemand, Brüder in Not, pour envoyer jusqu’en novembre 1937 des vivres aux Sudètes victimes du chômage et des troubles irrédentistes. Après l’annexion du pays sudète en octobre 1938 puis l’occupation de la Bohême Moravie en mars 1939, l’AFSC et le FSC s’occuperont en revanche d’aider les réfugiés tchèques qui fuient vers la Hongrie, la Roumanie et la Lituanie.

-1936-1940, Lituanie : avec l’assentiment de l’AFSC et à la demande du parti national-socialiste à Berlin, Corder Catchpool mène en mai et septembre 1936 une enquête sur le sort de 83 nazis emprisonnés après des troubles irrédentistes à Memel. Précédé d’une première visite en novembre 1935, son voyage est suivi d’une mission de vérification en mars 1938, date à laquelle les derniers détenus allemands sont amnistiés par le gouvernement lituanien. Selon Willis Hall, Corder Catchpool argue qu’une telle démarche en faveur des nazis permet de justifier auprès de Berlin la poursuite des secours auprès de prisonniers juifs et/ou socialistes. Après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne en septembre 1939, l’AFSC aide en revanche les réfugiés qui fuient vers la Lituanie, ainsi que la Roumanie et la Hongrie. Dans ce dernier pays, les Quakers se partagent avec les YMCA la gestion des camps qui accueillent une partie des 35 000 soldats, 5 000 officiers et 10 000 civils en provenance de Pologne. Jusqu’en février 1940, les opérations ont le soutien de l’ancien président américain Herbert Hoover mais se heurtent aux réticences des nazis et des soviétiques, qui veulent contrôler les secours, et des Britanniques, qui veulent maintenir leur blocus contre l’Allemagne.

-1937-1942, Espagne : tandis que les affrontements entre les Républicains et les Franquistes prennent de l’ampleur, l’AFSC décline d’abord l’invitation du FSC, qui l’avait sollicité en octobre 1936 pour financer des programmes du SCF en faveur des enfants. L’intérêt des Etats-Unis pour la crise espagnole n’est pas non plus très prononcé car les stratèges de Washington ont plutôt le regard tourné vers la Chine envahie par le Japon. Le Comité de Philadelphie, qui refuse les fonds des organisations communistes de soutien aux Républicains, finit néanmoins par envoyer des vivres donnés par la Croix-Rouge et transportés gratuitement par le gouvernement américain. A l’instar des précédentes opérations en Allemagne en 1920 et en Russie en 1922, le travail de l’AFSC se focalise initialement sur les enfants en dépit des velléités quakers d’aider aussi les adultes, notamment les veuves et les personnes âgées. Arrivées en avril 1937, les équipes du Comité s’appuient sur les réseaux d’assistance protestants des Unitariens, des membres de l’Eglise des Brethren et des Mennonites du MCC, avec qui elles signent un accord de coopération formel en novembre 1938. A Barcelone, ils travaillent également avec les jeunes de la YMCA, dont les locaux abritent momentanément les bureaux du FSC. Des Quakers américains, suisses et britanniques se déploient ainsi dans le Sud de l’Espagne, le Centre et la Catalogne respectivement. Du côté des Nationalistes dans le Sud, l’AFSC doit travailler avec les femmes de l’Auxilio Social. Du côté des Républicains en Catalogne, il collabore avec les services d’assistance publique, l’Asistencia Social, à qui il vend de la nourriture pour payer ses frais de transport et subventionner les rations alimentaires des habitants de Barcelone soumis au blocus des troupes franquistes en septembre 1937. A l’hôpital pour enfants de Murcie, il reçoit également l’appui logistique des Brigades internationales. A la différence du FSC, qui n’est pas autorisé à entrer dans les zones nationalistes, l’AFSC est alors, avec le CICR, une des rares organisations humanitaires à travailler de part et d’autre des lignes de front. Si les besoins sont bientôt plus importants chez les Nationalistes, qui s’emparent de la majeure partie de l’Espagne, la plupart des Quakers ne cachent cependant pas leurs sympathies pour les Républicains, où va l’essentiel des secours. En effet, l’abolition de la monarchie en 1931 s’est traduite par une plus grande tolérance religieuse à l’égard des protestants. De plus, la victoire des Nationalistes et la reddition de Madrid en mars 1939 entraînent une dégradation de la situation humanitaire. Des hôpitaux sont évacués manu militari, des véhicules de l’AFSC confisqués, de la nourriture volée et revendue, des vivres réquisitionnés au profit, notamment, des troupes du général Antoni Aranda à Murcie, tandis que les Phalanges de Francisco Franco sont soupçonnées de reprendre les exportations de blé alors même que des cargaisons d’aide alimentaire continuent d’être débarquées en Espagne. Dans une interview au New York Herald Tribune du 9 juin 1939, un volontaire de l’AFSC, Alfred Cope, dénonce ainsi les détournements de la soldatesque nationaliste, qui garde les vivres dans des entrepôts fermés pendant que la population crie famine. Pour ne pas menacer la poursuite des opérations, le représentant du Comité en Espagne depuis janvier 1939, Howard Kershner, se croit obligé de démentir publiquement les propos de son collègue, quitte à ce que l’AFSC interdise désormais à ses volontaires de parler à la presse sans en avoir averti auparavant le siège à Philadelphie. Après la défaite républicaine, l’organisation s’occupe ensuite des réfugiés qui fuient les exactions phalangistes. Dans le Sud de la France, elle accueille par exemple leurs enfants dans un foyer, La Rouvière, qui est ouvert près de Marseille en février 1940 et financé par une association américaine pro-républicaine, la SRRC (Spanish Refugee Relief Campaign). Au Maroc, encore, l’AFSC assiste 5 000 réfugiés obligés de travailler sous la garde des troupes coloniales dans les environs de Casablanca, où ils ont été transférés après leur débarquement dans la ville algérienne d’Oran en avril 1939. Au prix de certains compromis, des équipes quakers continuent par ailleurs de travailler en Espagne. En principe, un accord négocié le 24 février 1939 avec le chef de l’Auxilio Social, Janvier de Bedoya, et le gouvernement nationaliste à Burgos prévoit que les franquistes n’inquiéteront pas les volontaires de l’AFSC, ne leur imposeront pas de taxes et ne bloqueront pas l’aide à destination des Républicains. Mais les Quakers doivent accepter d’être réglés en pesetas pour payer le transport des importations de vivres, soulageant d’autant les dépenses en dollars du camp phalangiste. Dans le même ordre d’idées, ils ferment les yeux sur les exportations de poisson qui permettent aux franquistes d’obtenir de précieuses devises tout en continuant de recevoir une aide alimentaire. Renonçant à s’occuper des intellectuels dans le besoin, que le nouveau régime considère comme des rebelles potentiels, voire des criminels, Howard Kershner se résout également à laisser l’Auxilio Social distribuer les vivres. En conséquence de quoi, il perd le contrôle du ciblage des bénéficiaires et laisse les Phalangistes utiliser les secours du Comité pour consolider leur base sociale en excluant leurs opposants. L’Auxilio Social, écrit le secrétaire exécutif de l’AFSC, Clarence Pickett, dans une lettre adressée à Eleanor Roosevelt en avril 1939 et citée par Farah Mendlesohn, est “ une organisation partisane avec laquelle il est très difficile de travailler… En comparaison, le dispositif humanitaire des Républicains était plus sérieux et moins discriminant. L’Auxilio Social, c’est ce qu’il y a de pire en politique ”. De fait, les relations avec les Nationalistes ne s’améliorent guère. Alfred Jacob, un Quaker américain, est brièvement arrêté le 18 juin 1940, accusé d’espionnage et expulsé du pays. Pour venir en aide aux détenus du camp Miranda, le successeur de Howard Kershner en avril 1940, David Blickenstaff, doit quant à lui travailler sous les auspices du CICR car le gouvernement franquiste ne reconnaît pas les Amis comme une institution religieuse. L’AFSC met fin à ses opérations en 1942, après avoir nourri et habillé avec le FSC un total de 150 000 enfants depuis 1936.

-1938-1949, France : venu assister des réfugiés espagnols et allemands, l’AFSC voit ses programmes bouleversés par l’entrée en guerre contre l’Allemagne nazie en septembre 1939. Peu nombreux, les Quakers français ne sont pas autorisés à travailler directement pour Philadelphie, bien qu’ils obtiennent de faire un service civil plutôt que d’avoir à porter une arme au moment de la mobilisation générale. L’AFSC doit pour sa part se plier aux instructions du gouvernement à Paris, qui veut rapatrier les réfugiés espagnols en février 1940, et renoncer aux financements d’organisations suspectées de sympathies communistes, dont les fonds sont séquestrés en mai suivant. Tandis que les Quakers britanniques s’en vont, chassés par les événements, il devient encore plus difficile d’intervenir après l’invasion du Nord de la France par l’armée allemande et l’établissement dans le Sud d’une zone “ libre ” sous la houlette du maréchal Philippe Pétain à Vichy en juin 1940. Déjà soumis aux pressions de Londres, qui veut renforcer son blocus contre les nazis, l’AFSC est en l’occurrence contraint d’arrêter ses programmes nutritionnels en zone occupée, où, lors de la rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet 1942 à Paris, il essaie de ravitailler les Juifs en passe d’être déportés. En zone “ libre ”, le Comité de Philadelphie a aussi le plus grand mal à assister les civils français et les réfugiés espagnols internés à Rieucros, Rivesaltes, Argelès et Gurs dans des camps dont il doit cesser l’approvisionnement en mai 1941. Au moment où se précise la menace d’une intervention armée des Etats-Unis contre l’occupant allemand, l’AFSC, relate son responsable en France, Burritt Hiatt, est en effet perçu comme un émissaire du gouvernement à Washington, et non comme une organisation neutre et pacifiste. Ses posters, qui expriment un élan de solidarité « en témoignage de l’amitié américaine », prêtent d’ailleurs à confusion car ils font référence à toute une histoire d’entraide militaire entre les deux pays. Résultat, l’AFSC n’a pas l’entière confiance des autorités. Si le transport ferroviaire de ses vivres est pris en charge par un organisme parapublic, Reconnaissance française, en vertu d’un accord négocié avec le ministère du Ravitaillement en juillet 1940, l’organisation doit s’occuper de la population locale pour faire accepter son aide à des étrangers désormais considérés comme indésirables. Dans le même ordre d’idées, l’AFSC s’interdit de recruter des Juifs ou des réfugiés politiques afin de ne pas heurter la sensibilité du gouvernement de Vichy et de pouvoir éventuellement passer le relais à des employés français en cas de départ précipité. Seuls les expatriés américains de l’organisation, qui sont jusqu’à 25 en mai 1941, peuvent donc bénéficier d’un statut proche de l’immunité diplomatique. Privés d’une pareille protection, leurs collaborateurs sont plus vulnérables et l’AFSC préfère ne pas insister afin de ne pas compromettre le statu quo qui protège ses foyers. Après avoir tenté en vain de négocier une émigration légale des réfugiés espagnols vers le Mexique et des enfants juifs vers les Etats-Unis via le Portugal, les Quakers décident finalement à fabriquer de faux papiers pour les personnes menacées de déportation. Mais le débarquement de l’armée américaine en Afrique du Nord et l’invasion de la zone “ libre ” par les troupes allemandes compromettent tous les efforts de Philadelphie suite à la rupture des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et le régime de Vichy en novembre 1942. Restés en France, huit des derniers quinze volontaires qui composaient l’équipe de l’AFSC sont alors internés à Baden-Baden après avoir transféré en mars 1943 leurs fonds à une ONG locale, le Secours Quaker, créée de toutes pièces pour les besoins de la cause. Il faut attendre la libération de la France en 1944 pour redémarrer des programmes de secours. En partie financés par l’AFSC, les britanniques du FRS aident les personn es déplacées, les victimes des bombardements alliés, ainsi que les prisonniers de guerre allemands et leurs collaborateurs français en attente d’un procès. Concernant les réfugiés espagnols, le Comité de Philadelphie reprend également des programmes de formation qui sont confiés aux YMCA en 1949.

-1939-1950, Grande-Bretagne : comme en 1914, les Quakers montent une FAU (Friends Ambulance Unit) qui permet aux objecteurs de conscience d’être affectés à des tâches humanitaires et d’échapper au service militaire au moment où le gouvernement britannique réintroduit la conscription avec le Military Training Act de mai 1939. Des 9 200 Amis en âge de servir sous les drapeaux, la plupart sont exemptés et seulement 1 300 demandent un statut d’objecteur. Aussi la FAU engage-t-elle beaucoup de volontaires qui ne sont pas quakers et qui sont seulement défrayés. L’Unité sélectionne 1 217 personnes sur quelque 5 000 candidats et recrute pour la première fois des femmes, 97 à partir de 1941. Avec pour slogan le mot d’ordre GADA (“go anywhere, do anything”), l’organisation se déploie en zones de guerre. En Finlande, elle débarque le 2 mars 1940, au moment où la paix va être conclue, et contribue à évacuer des civils et des combattants. Ses équipes se retirent ensuite en Norvège le 1er juin 1940, où elles arrivent aussi trop tard, le pays venant d’être envahi par l’Allemagne. En France, la percée des troupes allemandes les oblige également à se replier vers Londres en mai 1940 et, pour reprendre pied en Europe, il leur faudra attendre le débarquement des troupes alliées en Sicile à partir du 19 août 1943, qui marque les débuts de la reconquête du continent. Avant sa dissolution en 1959, qui coïncide avec la fin de la conscription militaire en Grande-Bretagne, la FAU étendra alors ses activités en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Asie. Vis-à-vis de la communauté quaker, son intégration dans les corps armés pose des problèmes similaires à ceux de la Première Guerre mondiale. Si, à la différence de leurs aînés de 1914, des volontaires de 1939 refusent grades et médailles militaires, ils n’acceptent pas moins de secourir en priorité les combattants blessés et de porter des uniformes kakis avec des brassards de la Croix-Rouge. En Egypte, en Libye et en Tunisie, particulièrement dans la région de Tobrouk en 1941 et 1942, ils travaillent directement sous les ordres de l’armée britannique, en l’occurrence dans les hôpitaux mobiles dits “Hadfield Spears”, fondés par la femme du général Edward Spears, un député conservateur proche de Winston Churchill. Les FAU opèrent par ailleurs aux côtés des FFL (Forces françaises libres) du général Charles de Gaulle, en particulier en Syrie contre les autorités vichystes au pouvoir à Damas avant l’armistice de juillet 1941. A partir de mai 1943, un de leurs détachements intègre même la colonne Leclerc et l’accompagne jusqu’à Paris le 24 août 1944 avant d’être dissous en juin 1945 sur instruction du général Charles de Gaulle, qui veut s’affranchir des Britanniques et du général Edward Spears, l’officier de liaison qui l’avait exfiltré vers Londres le 17 juin 1940. L’incorporation des FAU au sein de forces armées, note Arfor Tegla Davies, suscite un certain esprit de compétition avec les militaires car les pacifistes veulent prouver leur bravoure et leur aptitude professionnelle. Les militants de base se plaindront d’ailleurs du renforcement de la discipline et obtiendront après guerre une démocratisation de l’organisation avec un droit d’accès direct au conseil d’administration du service international de la FAU dans l’article 7 de la Constitution du 6 mai 1949. Dans le même temps, des tensions apparaissent avec les Quakers du FRS (Friends Relief Service), dont les activités durent de novembre 1940 à mai 1948. Considérés comme moins professionnels, ceux-ci échappent à la tutelle des militaires et concentrent d’abord leurs efforts sur les victimes civiles des bombardements de la blitzkrieg en Grande-Bretagne, d’une part, et les réfugiés allemands qui, après avoir fui le régime nazi, sont détenus pour des raisons de sécurité sur l’île de Man, d’autre part. D’après le secrétaire général du FRS, Roger Wilson, des volontaires critiquent ainsi la militarisation des activités humanitaires en temps de guerre, avec l’imposition d’une hiérarchie très stricte et une montée de l’autoritarisme au détriment de la concertation. Certains excluent d’endosser des uniformes kakis, retardant d’autant leur déploiement outre-mer. Envoyés sur les îles de la Mer Egée pour secourir les Grecs libérés de l’occupation allemande en 1944, ils finissent cependant par accepter de revêtir des habits de la couleur grise des contingents indiens de l’armée britannique sur place. Croyant contourner la difficulté, le FRS met également son personnel à disposition d’autres organisations où l’on porte le kaki ! En définitive, les volontaires quakers n’échappent pas à une intégration dans des dispositifs militaires. Bénéficiant du statut d’officier, ils sont logés, transportés et nourris par l’armée, notamment en Allemagne et en Autriche après l’écroulement du régime nazi. De plus, ils doivent travailler dans le cadre d’un collectif d’ONG qui a été fondé en août 1942 par le ministère de la Défense et qui, formalisé en octobre suivant, prend en mars 1943 le nom de COBSRA (Council of British Societies for Relief Abroad) jusqu’à sa dissolution en juillet 1950. L’objectif des autorités britanniques est explicite. Le COBSRA a pour mission de coordonner, superviser et surveiller les activités des ONG outre-mer, à charge pour le gouvernement de compléter et financer la moitié de leurs dépenses opérationnelles. Avec la Croix-Rouge britannique, l’Armée du Salut, le Catholic Committee for Relief Abroad et le Save the Children Fund, les Quakers des FAU et FRS participent en conséquence à la reconquête de l’Europe après le débarquement des Américains en Sicile. Escortés par des carabinieri en Italie à partir de décembre 1943, leurs expatriés contribuent par exemple à évacuer des civils, distribuer des vivres et héberger les personnes déplacées dans des camps.