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Comité International de la Croix Rouge
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Historique

Comité International de la Croix Rouge - Historique




1970-1979


-Depuis 1970, Jordanie : dix jours avant de monter une mission médicale au moment du soulèvement des réfugiés palestiniens contre la monarchie du roi Hussein Ier, le CICR est sollicité afin de servir d’intermédiaire à l’occasion du détournement de trois avions de la TWA (Trans World Airlines), de Swiss Air et de la BOAC (British Overseas Airways Corporation). Le Comité refuse cependant de négocier pour les seuls passagers non juifs et se retire des pourparlers quand les pirates du Front populaire de libération de la Palestine emmènent leurs derniers otages dans des sanctuaires cachés que l’armée jordanienne finit par prendre d’assaut. Lorsque la guerre civile éclate le 17 septembre 1970, le CICR en revient alors à des activités de secours plus classiques. A Amman, sa délégation est prise au milieu des combats et coupée du monde. Une équipe médicale parvient néanmoins à se rendre en province pour y soigner les blessés de part et d’autre. Le CICR envoie également des vivres qui sont distribués par les Croissants Rouges jordanien et palestinien en novembre et décembre. A partir de 1971, il est par ailleurs autorisé à visiter les détenus politiques aux mains de la monarchie. Il est surtout amené à se redéployer dans le pays lors de la première crise du Golfe, essentiellement pour s’occuper des populations immigrées d’origine asiatique qui fuient le Koweït envahi par l’Irak en août 1990. Jusqu’en novembre, les équipes du CICR et du Croissant Rouge jordanien assistent quelque 300 000 personnes en transit. Elles construisent notamment des camps capables d’abriter jusqu’à 35 000 réfugiés chacun, par exemple sur le poste frontière de Rweished. Dans la précipitation, un premier site d’accueil est en l’occurrence établi sur la nappe phréatique d’Azraq qui alimente Amman en eau potable, et il faut bientôt le déménager un peu plus loin avant de passer le relais au Croissant Rouge jordanien.
 
-1971-1972, Bengladesh : suite à la sécession biafraise, le CICR intervient dans la partie orientale du Pakistan, qui lutte pour son indépendance, et établit une zone de refuge qui abrite des civils à Dacca pendant les combats. Comme au Nigeria, l’organisation se heurte à de nombreuses difficultés pour négocier un accès du côté des rebelles après avoir envoyé à Karachi un avion sans autorisation officielle. D’abord venu distribuer des secours aux victimes d’inondations, le Comité déplore également des accidents, par exemple quand un de ses appareils s’écrase à Dacca le 30 novembre 1970, tuant sur le coup les quatre membres de l’équipage, à savoir le Luxembourgeois Jean-Paul Tompers et les Islandais Omar Tomasson, Birgir Oern Jonsson et Stefan Olafsson. Sur place, le CICR est bientôt amené à s’occuper de la libération des prisonniers de guerre car le conflit prend une dimension internationale quand l’armée indienne intervient aux côtés des sécessionnistes. Mais les relations avec New Delhi s’avèrent aussi mauvaises qu’avec Islamabad. L’Inde maltraite en effet des prisonniers de guerre pakistanais et ses gardes tuent des détenus qui tentent de s’évader pour fuir les mauvaises conditions de détention. En mars, octobre et novembre 1972, New Delhi ne peut empêcher des émeutes dans les camps placés sous sa responsabilité et finit par chasser un délégué du Comité de Genève quand le Pakistan publie un rapport du CICR à ce sujet. De plus, l’Inde retarde à dessein le rapatriement des prisonniers de guerre pakistanais après la fin des hostilités et l’indépendance du Bengladesh en décembre 1971. L’intention de New Delhi est de les libérer en échange d’une reconnaissance du nouvel Etat par Islamabad. Face à de tels blocages, le CICR parvient néanmoins à protéger la minorité des Bihari, quelque 700 000 personnes dont il organise l’évacuation vers le Pakistan. En sens inverse, il facilite également le retour d’Inde d’une dizaine de millions de réfugiés bengalis. Citoyens pakistanais, les Bihari sont en l’occurrence haïs à cause de leur soutien à Islamabad, de leur résistance à la sécession et de leur condescendance envers les Bangladais. Dans la banlieue de Dacca, ils refusent par exemple de construire leurs propres camps de réfugiés et le CICR doit payer des Bengalis pour viabiliser les terrains. Un délégué du Comité, Laurent Marti, en profite pour organiser officieusement des distributions de vivres dans les villages environnants, où les autochtones sont bien aussi démunis que les Bihari. Poussé par la LCR, qui est intervenue à l’occasion des inondations de 1970 et qui argue du retour à la paix pour prendre sa place, le CICR se résout finalement à quitter le pays en remettant son matériel à la nouvelle Croix-Rouge bengalie.
 
-Depuis 1972, Burundi : dans un pays où le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés a ouvert son premier bureau en Afrique subsaharienne dès 1962, le CICR intervient afin de venir en aide aux Hutu victimes de pogroms organisés par les Tutsi au pouvoir. Mais il doit vite interrompre ses opérations car le gouvernement ne l’autorise pas à superviser la distribution des secours. Le CICR rapatrie ses délégués en juillet 1972 et laisse à la LCR le soin de prendre le relais avec la Croix-Rouge locale, qui est dominée par des Tutsi proches du gouvernement et qui réserve son aide aux seules régions « méritantes ». Le CICR revient ensuite dans le pays à l’occasion d’affrontements à Ntega et Marangara en août 1988. Il ne peut cependant pas davantage compter sur l’appui de la Croix-Rouge burundaise. Proche d’une armée à dominante tutsi, celle-ci continue en effet de détourner les vivres au profit des autorités : en 1993, constatent Jean-Hervé Bradol et Claudine Vidal, elle met notamment la main sur une grande partie de l’approvisionnement destiné aux camps de réfugiés burundais et hutu au Rwanda, où les taux de mortalité sont élevés. De plus, l’assassinat en avril 1994 du président démocratiquement élu plonge le pays dans le chaos et limite les possibilités d’intervention humanitaire. Au cours de l’année 1995, le CICR n’a bientôt plus accès aux provinces de Bubanza à partir d’août et de Cibitoke après l’assassinat d’un employé local tombé dans une embuscade le 6 novembre. Le Comité est même contraint de suspendre ses activités dans la capitale lorsque des affrontements avec les rebelles touchent un de ses hôpitaux à Bujumbura le 8 décembre suivant, tuant sept gardes-malades et blessant vingt patients. Finalement, l’organisation se retire complètement du pays après la mort dans la province de Cibitoke le 4 juin 1996 de trois de ses délégués, Cédric Martin, Reto Neuenschwander et Juan Pastor Ruffino, dans une embuscade vraisemblablement commanditée par l’armée afin de chasser des témoins gênants alors que des soldats participent aux massacres de villageois. Il faut attendre près de trois ans, jusqu’en mars 1999, pour que le CICR reprenne son assistance aux populations déplacées et ses visites de détenus, quitte à participer au financement de la réhabilitation des prisons burundaises. Les conditions de travail restent certes difficiles. Quatre mois après leur retour dans la capitale, les équipes du CICR ne sont plus autorisées à prendre la route et doivent se déplacer en avion pour aller en province. Faute d’avoir librement accès aux victimes d’une sécheresse en 2001, elles décident en conséquence de suspendre leurs distributions de vivres. Elles continuent par ailleurs d’être l’objet d’attaques, par exemple contre les bureaux du CICR à Gitega en 2002, opération au cours de laquelle un gardien est tué et un autre blessé. Enfin, elles ne parviennent pas à stabiliser leurs relations avec les autorités médicales et politiques, où les Hutu reviennent en force après la signature d’accords de paix à Arusha en août 2000. La Croix-Rouge burundaise, notamment, n’est toujours pas fiable et le CICR arrête de la financer en décembre 2003 tandis qu’elle se déchire entre les factions de son président, le Dr. François-Xavier Buyoya, et du nouveau ministre de la Santé, le Dr. Jean Kamana, qui veut renvoyer la majeure partie du personnel tutsi pour le remplacer par des employés hutu. Passé aux mains des anciens rebelles hutu, le gouvernement, quant à lui, n’est pas plus conciliant que la junte militaire des années 1996-2002. En mai 2005, il menace d’expulser le CICR et le HCR, accusés de donner asile à des réfugiés rwandais que le président Domitien Ndayizeye veut renvoyer chez eux pour satisfaire les exigences de son homologue Paul Kagamé, au pouvoir à Kigali.
 
-Depuis 1973, Iran : la vingt-deuxième conférence internationale des Croix Rouges, qui se déroule à Téhéran du 8 au 15 novembre 1973, réunit les délégués de 78 gouvernements et 98 sociétés nationales. Placée sous les auspices du Shah, elle est accueillie par la Société du Lion et du Soleil Rouge, une organisation qui, constituée en janvier 1923, a été reconnue par Genève malgré son refus de porter l’emblème du mouvement. A l’époque, le CICR entretient plutôt de bonnes relations avec un gouvernement allié aux Etats-Unis. En mars 1974, il est ainsi autorisé à secourir les Kurdes d’Irak depuis l’Iran malgré le refus du régime de Saddam Hussein au pouvoir à Bagdad. Mais il doit bientôt mettre un terme à ses programmes transfrontaliers lorsque les deux pays se réconcilient et signent en mars 1975 les accords d’Alger qui délimitent leur frontière le long du Chatt-El-Arab. Le CICR reste alors en Iran pour assister les détenus politiques, de plus en plus nombreux à mesure que le régime du Shah est contesté et multiplie les mesures de répression. Autorisé à visiter les prisons de la capitale en avril 1977, le Comité peut étendre son travail en province après la proclamation de la loi martiale en septembre 1978. Les islamistes, qui renversent le Shah en février 1980, laissent ensuite le CICR continuer d’assister les détenus politiques jusqu’en septembre 1981. La difficulté est que, pour discréditer davantage le précédent régime, le nouveau gouvernement cite en décembre 1979 les extraits les plus défavorables des rapports de l’organisation. Un tel biais oblige Genève à rétablir la vérité dans un communiqué de presse en date du 9 janvier 1980 : la publication des comptes rendus de ses visites du 21 juin 1977, 22 février 1978 et 17 octobre 1978 montre en l’occurrence que les pressions du Comité ont permis de diminuer les sévices corporels infligés aux prisonniers. La guerre avec l’Irak, qui démarre en septembre 1980, bouleverse la donne. Le CICR a le plus grand mal à accéder aux camps de Parandak, Heshmatiyeh, Mehrabad, Gorgan, Davoudieh, Bandar-e-Anzali et Karak où sont enfermés les prisonniers de guerre irakiens. A défaut d’être autorisé à s’entretenir sans témoins avec les détenus, il doit suspendre ses visites à plusieurs reprises d’août à octobre 1981, de novembre 1981 à janvier 1982, d’avril 1982 à février 1983, de mars 1983 à juin 1983, de juillet 1983 à septembre 1984 et d’octobre 1984 à décembre 1986. A la suite d’incidents graves dans le camp de Mehrabad en 1983, l’institution est même accusée de provoquer des troubles lors d’une émeute qui fait plusieurs morts à Gorgan et qui conduit à l’expulsion d’un délégué du CICR en octobre 1984. Résultat, le Comité de Genève ne peut visiter qu’une quinzaine de camps au total et il est contraint de se retirer complètement du pays pendant près de trois ans, de 1987 à 1989. Faute de mieux, le président du CICR, Alexandre Hay, en est réduit à dénoncer publiquement les violations du droit humanitaire par l’Iran, notamment les mauvais traitements et l’endoctrinement idéologique des prisonniers de guerre irakiens le 23 novembre 1984, puis l’embrigadement d’enfants soldats et le bombardement des populations civiles le 28 mai 1985. L’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu en août 1988 ne permet pas de résoudre la question. Les prisonniers de guerre irakiens ne sont ni relâchés ni recensés à des fins d’identification. Malgré un très relatif rapprochement de l’Iran et de l’Occident lors de la première crise du Golfe en 1991, quand les Etats-Unis attaquent le régime de Bagdad coupable d’avoir envahi le Koweït, le CICR n’est toujours pas autorisé à s’entretenir sans témoins avec les détenus pour éventuellement superviser des opérations de rapatriement volontaire. Revenu dans les camps en janvier 1992, il est presque aussitôt accusé d’outrepasser son mandat et expulsé du pays deux mois après. A l’exception de brèves visites en novembre 1993, il n’a plus du tout accès aux quelques 19 000 prisonniers de guerre irakiens restés en Iran. Les quelques opérations de rapatriement qui démarrent en avril 1998 se font d’abord sans le CICR, qui doit attendre février 2004 pour rouvrir une délégation à Téhéran, signer un accord formel et obtenir des informations sur les derniers prisonniers de guerre irakiens pas encore identifiés, souvent relâchés en Iran sans pouvoir ou vouloir revenir dans leur pays. En attendant, le Comité de Genève s’implante certes dans les régions du Khouzistan et du Bakhtaran pour aménager des camps et recevoir quelque 50 000 réfugiés chiites irakiens qui fuient vers Khorramshar, Abadan et Boustan le régime à dominante sunnite de Saddam Hussein lors de la première crise du Golfe en 1991. A la même époque, le CICR s’établit également dans les provinces du Kurdistan et de l’Azebaïdjan pour accueillir les réfugiés kurdes sur des sites un peu surdimensionnés à Zeiveh et Oshnavieh. En vue d’acheminer rapidement les secours, son matériel est prépositionné à l’avance dans une base à Orumiyeh, où il est autorisé à faire atterrir des avions et à récupérer la logistique inutilisée en Syrie, en Jordanie et à Bahreïn, quitte à payer plus cher qu’un transport organisé directement depuis l’Europe. Par la suite, le CICR revient brièvement en Iran et s’établit à Mashhad afin de s’occuper du rapatriement des réfugiés afghans de décembre 2001 à août 2002. Il reste en réalité dans le pays plus longtemps que prévu car on s’attend à un exode important d’Irakiens avec l’intervention américaine contre le régime de Saddam Hussein en mars 2003. Basé à Kermanshah, le CICR est donc fin prêt pour venir au secours des victimes du tremblement de terre de Bam en décembre suivant. Conjuguée au rapatriement de quelques civils iraniens coincés par la guerre en Irak, son aide auprès de la population lui permet de conforter sa présence à Téhéran, même s’il n’a toujours pas accès aux détenus politiques.
 
-Depuis 1974, Ethiopie : le régime marxiste de Mengistu Hailé Mariam, qui vient de renverser la monarchie du Négus à Addis-Abeba en septembre 1974, interdit au CICR d’intervenir en Erythrée, où combattent des mouvements sécessionnistes. Les autorités, qui veulent affamer la région d’Asmara pour en déloger les rebelles, refusent de reconnaître l’existence d’une crise. Dérogeant à ses principes, le CICR décide en conséquence de traiter directement avec les insurgés depuis le Soudan, où il aide déjà des réfugiés érythréens dans les régions de Kassala et Port Soudan. La difficulté est de répartir les secours de façon équilibrée aux différentes guérillas en lice, entre les marxistes de l’EPLF (Eritrean People’s Liberation Front), à dominante chrétienne, et les nationalistes de l’ELF (Eritrean Liberation Front), à dominante musulmane, chacun ayant sa propre branche humanitaire, respectivement l’ERA (Eritrean Relief Association) et le Croissant rouge érythréen. Entre 1978 et 1982, le Comité de Genève finance en l’occurrence un quart environ des opérations de l’ERA. De manière plus sporadique, il envoie aussi au Croissant rouge érythréen des vivres qui représentent la moitié du tonnage donné à l’ERA en 1979. Pour autant, il ne jouit pas de la confiance pleine et entière de l’EPLF. D’inspiration marxiste, ce mouvement écrase bientôt ses rivaux de l’ELF et interdit au CICR de visiter ses prisonniers de guerre, arguant du secret défense, de l’absence de réciprocité du côté éthiopien et du refus de Genève de dénoncer les exactions d’Addis-Abeba. Alliés à l’EPLF, les combattants tigréens du TPLF (Tigray People’s Liberation Front) et de sa branche humanitaire, la REST (Relief Society of Tigray), ne sont pas plus ouverts et le Comité n’essaie même pas de négocier un accès à leurs détenus. Paradoxalement, l’institution progresse davantage du côté de la dictature de Mengistu Hailé Mariam à Addis-Abeba. En mars 1978, octobre 1979, avril et octobre 1980 puis février 1981, le Comité est autorisé à visiter quelques militaires capturés lors du conflit armé qui a opposé l’Ethiopie à la Somalie à propos de la région de l’Ogaden à partir de juillet 1977. Malgré les dispositions des Conventions de Genève, rélève David Kline, les vivres fournis par le CICR servent en fait à rémunérer le travail demandé aux prisonniers de guerre somaliens, au lieu d’être donnés gratuitement. De plus, le gouvernement éthiopien revient bientôt sur sa décision et interdit l’accès des lieux de détention en juillet 1981. En décembre suivant, le CICR parvient néanmoins à signer un accord qui lui permet d’établir des délégués permanents pour secourir les prisonniers somaliens. Dans la foulée, il s’occupe également d’un centre de rééducation pour invalides de guerre à Debré Zeit de janvier 1979 à décembre 1982. A partir de 1983, il est même autorisé à fournir des secours dans la région du Tigré, tant du côté gouvernemental, à partir d’Addis-Abeba, que rebelle, à partir de Port Sudan. Le problème est que le coût logistique… et politique d’une opération montée de part et d’autre de la frontière soudanaise s’avère fort élevé. Soucieux de conserver sa neutralité et de ne pas passer par l’intermédiaire de la REST, le CICR préfère en effet envoyer ses propres équipes sur le terrain, quitte à affréter une flotte de camions en son nom et à masquer l’emblème de la Croix-Rouge afin de ne pas être pris pour cible par l’armée gouvernementale, dont l’aviation attaque ses convois en 1985. Pour ne pas compromettre la poursuite de ses activités, Genève ne dénonce pas non plus officiellement les déportations de populations que la junte du colonel Mengistu Hailé Mariam entreprend en vue de vider le Nord du pays et de priver les guérillas du soutien de la paysannerie au moment de la famine de 1984. Après l’expulsion en décembre 1985 des équipes de Médecins Sans Frontières, le CICR décide au contraire de rapatrier en mars 1986 son chef de mission à Addis-Abeba, Léon de Rietmatten, qui avait protesté contre les départs forcés vers le Sud et le chantage à la survie alimentaire des habitants du Tigré. A la différence de la plupart des ONG qui restent sur place, l’institution s’abstient certes de participer à des déportations arbitrairement qualifiées de réinstallations, sous prétexte de développement agricole. Le Comité, qui suspend toutes ses opérations de décembre 1986 à mai 1987, refuse notamment de se plier aux nouvelles directives du régime et d’être placé sous l’autorité de la Croix-Rouge éthiopienne et de son président Dawit Zawde, qui sont aux ordres de la dictature. Dans un communiqué de presse en date du 12 février 1987, le CICR annonce l’interruption de ses activités à cause des blocages du gouvernement. En mai suivant, il est également contraint d’arrêter ses opérations transfrontalières du Soudan vers le Tigrée et l’Erythrée. En juin 1988, il est finalement expulsé, même s’il parvient à faciliter le rapatriement des prisonniers de guerre somaliens après la signature d’un accord de paix entre Mogadiscio et Addis-Abeba le 3 avril 1988. La FICR prend alors le relais en se pliant aux injonctions des autorités, qui interdisent les distributions de vivres dans les zones du Nord tenues par les rebelles. Le CICR, quant à lui, doit attendre que les guérillas marquent des points pour remettre un pied dans le pays, en particulier en Erythrée, où la recrudescence des combats annonce la chute prochaine de la dictature du colonel Mengistu Hailé Mariam. Il est ainsi autorisé à ravitailler Asmara par avion lorsqu’il ne peut plus passer par la route depuis le port de Massawa, tombé aux mains des indépendantistes en février 1990. A Addis-Abeba, il reprend par exemple à sa charge la gestion de l’hôpital de Bacha, où des équipes de la Croix-Rouge soviétique travaillent jusqu’aux derniers jours de la dictature en mai 1991. Le CICR continue cependant de se heurter à de nombreux obstacles administratifs après la victoire du TPLF et de l’EPLF, qui lui demandent d’abord de quitter le pays dès juin suivant. Jusqu’en février 1992, il n’est pas autorisé à visiter les prisonniers détenus par le nouveau pouvoir. Tout juste peut-il faciliter le retour au foyer de 248 568 soldats démobilisés au Tigré et en Erythrée et rassemblés dans des camps à Tole, Hurso et Tatek à partir de janvier 1992. Pour le reste, le CICR est surtout amené à revenir dans le pays au moment de la guerre qui, de juin 1998 à juillet 2000, oppose l’Ethiopie à l’Erythrée à propos d’une frontière contestée. Encore faut-il obtenir l’accord des belligérants. Du côté d’Asmara, où il ouvre une délégation en août 1998, le Comité est tardivement autorisé à assister les prisonniers de guerre éthiopiens quand l’Erythrée adhère aux Conventions de Genève en août 2000, c’est-à-dire après la fin du conflit. Outre ses visites auprès de 4 300 civils rassemblés dans des camps et de 1 200 autres détenus en prison ou dans des commissariats, l’organisation peut alors faciliter le retour de 12 000 ressortissants érythréens et, dans le sens inverse, de 300 éthiopiens retenus par Asmara. Du côté d’Addis-Abeba, l’accès aux prisonniers de guerre est mieux garanti et les derniers rapatriements de part et d’autres sont achevés au cours de l’année 2002. Mais l’assistance aux victimes civiles du conflit est plus compliquée. De février à août 1999, le CICR doit interrompre ses programmes en faveur des populations déplacées du Tigré, d’où il est chassé avec toutes les organisations humanitaires de la région. S’il est autorisé à aider les habitants de Senafe, occupée par l’armée éthiopienne après la reprise des combats en mai 2000, il lui faut attendre la fin de la guerre pour réinstaller les familles évacuées au cours des hostilités, notamment dans la ville frontalière de Zalambessa. Les autres régions en proie à des insurrections larvées ne sont pas non plus d’un accès facile. Dans l’Ogaden à dominante somali, en particulier, le CICR doit à plusieurs reprises suspendre ses opérations à cause de l’insécurité, en l’occurrence lorsque six collaborateurs locaux sont capturés sur la route Gode-Jijiga le 25 juin 1998 puis libérés le 10 juillet suivant, ou bien en septembre 2006 lorsque l’Irlandais Donal O’Suilleabhain et l’Ethiopien Hadis Ahmed Sematar sont enlevés à une cinquantaine de kilomètres au nord de Gode et relâchés au bout de cinq jours par les hommes de l’UWSLF (United Western Somali Liberation Front), qui les avaient pris pour des employés de compagnies pétrolières. L’attitude des autorités contribue à compliquer la situation. Accusé de collaborer avec l’ennemi et de diffuser des informations mensongères, le CICR est expulsé d’Ogaden en juillet 2007 car les rebelles dénoncent les blocages de l’armée éthiopienne, qui empêche l’arrivée de denrées de première nécessité. Le Comité n’échappe pas non plus aux restrictions dans la capitale Addis-Abeba, où il avait commencé en 2004 à soutenir la réforme du système pénitentiaire éthiopien après avoir obtenu en 2000 l’autorisation d’assister quelque 8 000 prisonniers politiques détenus dans des commissariats. A la suite des troubles liés aux élections frauduleuses de mai 2005, le gouvernement suspend ses visites dans les prisons fédérales à partir de décembre puis dans les commissariats à partir d’avril 2006.
 
-Depuis 1975, Cambodge : le CICR se heurte à des difficultés grandissantes à mesure que les combats s’intensifient et que les guérilleros Khmers Rouges de Pol Pot resserrent leur étreinte contre la junte du général Lon Nol au pouvoir à Phnom Penh avec le soutien des Américains. En effet, le Comité ne parvient pas à gagner la confiance des rebelles, qui se méfient des organisations occidentales en général et qui reprochent à Genève d’inviter seulement le gouvernement cambodgien aux conférences internationales de la Croix-Rouge. Le CICR s’attire notamment l’inimitié du roi Norodom Sihanouk, qui a été renversé par le coup d’Etat de Lon Nol en 1970 et qui s’est allié aux Khmers Rouges une fois parti en exil. Résultat, la coalition des rebelles réunis au sein du GRUNK (Gouvernement Royal d'Union Nationale du Kampuchéa) accuse le Comité d’ingérence et lui ordonne d’évacuer le pays dès le 15 mars 1975. Le 16 avril, elle oppose une fin de non-recevoir à l’offre de reddition du Premier ministre en exercice, Long Boret, que lui transmet le CICR. Le lendemain, quand ils entrent dans la capitale, les communistes violent également la zone neutralisée que le Comité de Genève vient tout juste de constituer à l’hôte l Phnom. Réfugiés à l’ambassade de France, les derniers expatriés du CICR doivent s’en aller dans la précipitation, laissant derrière eux des collaborateurs locaux qui seront exterminés en dépit de leurs brassards de la Croix-Rouge, ou plutôt à cause de celui-ci, symbole de leur « compromission » avec les « capitalistes » occidentaux selon le témoignage de Pascal Grellety Bosviel. L’organisation perd ensuite tout contact avec un pays dont la Croix-Rouge est désormais présidée par Ieng Thirith, la femme du nouveau ministre des Affaires étrangères Ieng Sary, qui sera ultérieurement arrêtée pour crimes contre l’humanité. Accusé d’immobilisme par un correspondant du Daily Mirror, John Pilger, qui lui reproche de ne pas dénoncer le génocide, le CICR tarde à découvrir l’ampleur des massacres commis par le régime de Pol Pot. Il lui faut attendre le renversement de la dictature par l’armée vietnamienne en décembre 1978 pour envisager de ravitailler les survivants. Mais la mauvaise volonté de la puissance occupante ne facilite pas le travail. Hanoi, qui exige 150 000 dollars pour le survol de la partie Sud de son territoire, oblige le CICR à convoyer les secours depuis la Thaïlande dans des avions militaires occidentaux prêtés pour la circonstance et pilotés par des vétérans américains de la guerre du Vietnam. Soutenu à bout de bras par les troupes d’occupation, le gouvernement de Heng Samrin au pouvoir à Phnom Penh s’oppose quant à lui à l’acheminement de l’aide dans l’arrière-pays et au ravitaillement des réfugiés cambodgiens à la frontière thaïe. En septembre 1979, il décide même d’expulser le CICR. Dans l’attente d’un ordre écrit qui ne vient jamais, le Comité de Genève parvient certes à maintenir une présence dans la capitale sans renouveler son personnel, faute de visas. A force de patience, il finit par convaincre les autorités du Kampuchéa démocratique que leur obstruction n’empêchera pas les humanitaires en Thaïlande de porter secours aux camps de réfugiés infiltrés par les Khmers Rouges, qui continuent la lutte contre l’occupant vietnamien. Dans le cadre d’un accord signé le 13 octobre 1979, le CICR est autorisé à monter un pont aérien depuis Bangkok via Saigon. Sous la pression des agences onusiennes, des autorités locales, de l’ambassade américaine en Thaïlande et d’ONG comme World Relief, il entreprend de distribuer des semences destinées à faciliter la reconstruction des campagnes cambodgiennes et à assurer l’autosuffisance alimentaire des masses paysannes. Le problème est qu’il s’y prend trop tard, au moment où la saison des moussons rend les pistes impraticables et ne permet plus d’acheminer l’aide. De plus, il n’a pas la permission de superviser de visu les distributions des vivres. Il doit se contenter des rapports que la nouvelle Croix-Rouge du Kampuchéa démocratique est censée lui remettre… et qu’il n’obtient pas. Or cette dernière institution est en réalité une officine politique qui vise d’abord à réclamer le siège que des représentants de Pol Pot en exil occupent toujours à l’Organisation des Nations Unies et à la Ligue des Croix Rouges. Présidée par une femme victime des Khmers Rouges, Pech Piroun, elle n’a pas pour objectif d’aplanir les obstacles administratifs que les autorités dressent pour mettre la main sur l’aide humanitaire. De retour de mission en novembre 1979, le chef des opérations du CICR, Jean-Pierre Hocke, reconnaît ainsi que 97% des 50 000 tonnes de ravitaillement acheminées depuis la Thaïlande pourrissent dans les hangars de Phnom Penh et les docks de Kompong Som. De fait, le gouvernement Heng Samrin cherche surtout à consolider son assise financière à travers l’aide alimentaire et la devise locale que constitue le riz, avec lequel il paie ses fonctionnaires dans un pays démonétisé par Pol Pot. Les détournements, explique le journaliste William Shawcross, se font à tous les niveaux et l’armée cambodgienne ne se prive pas d’utiliser les véhicules du CICR sous prétexte d’escorter les expatriés et d’assurer leur sécurité. Les militaires, en particulier, veulent contrôler toutes les distributions et organisations humanitaires. En 1985, par exemple, ils expulsent la Croix-Rouge suisse, qui travaillait depuis 1981 dans l’hôpital de Kampong Cham et qui est accusée de renseigner les services secrets américains parce qu’un de ses chirurgiens a vertement demandé à un officier vietnamien de quitter la salle d’opérations où il fumait ! Dans un tel contexte, le CICR n’est guère en mesure d’exercer pleinement ses activités avant la signature d’un premier cessez-le-feu entre le gouvernement et les mouvements de lutte armée le 1er mai 1991. S’il peut commencer à visiter quelques prisonniers de guerre à partir de 1990 et à travailler en province dans les régions de Pursat à partir de 1988 puis de Battambang et Banteay Meanchey à partir de 1989, il n’a toujours pas le droit, jusqu’en 1992, de se rendre dans les zones frontalières du nord où sont implantés les Khmers Rouges, en l’occurrence à Pailin et Sisophon. Concrètement, ce sont les accords de paix du 23 octobre 1991 qui permettent aux équipes du Comité de Genève de se déployer à l’intérieur du pays au moment où débarquent les casques bleus chargés de surveiller le bon déroulement des élections de mai 1993 pour le compte de l’Organisation des Nations Unies. Les délégations du CICR à Bangkok et Phnom Penh sont alors autorisées à communiquer par radio et à traverser la frontière par voie terrestre via Poipet sur une route qui, rouverte pour la première fois depuis 1975, relie Aranyaprathet en Thaïlande à Sisophon au Cambodge. Invité à participer au rapatriement des réfugiés, le Comité de Genève est également récompensé de treize années d’efforts lorsqu’un accord du 11 janvier 1992 l’autorise enfin à visiter les prisons où le gouvernement détient des combattants et des civils, permission qui est étendue aux camps militaires, aux gendarmeries et aux commissariats de police à partir de mars 1998.
 
-Depuis 1976, Liban : le CICR monte des opérations de secours dans un pays où la guerre civile prend de l’ampleur et où il était déjà intervenu brièvement au moment d’une rébellion druze en août 1958. Malgré les réticences de Genève, son délégué à Beyrouth, Laurent Marti, a en l’occurrence engagé à titre préventif des dépenses que la rupture d’un énième cessez-le-feu justifie pleinement à partir de janvier 1976. En août suivant, le Comité parvient à négocier une trêve pour évacuer les blessés du camp de réfugiés palestiniens de Tall-al-Zaatar dans la banlieue de Beyrouth. Une de ses équipes est cependant attaquée par des francs tireurs sur le chemin du retour. Les miliciens ne respectent pas plus l’emblème de la Croix-Rouge dans la plaine de la Bekaa, où l’institution doit suspendre ses opérations médicales de mars à août 1976. Par ailleurs, de plus en plus de véhicules, de denrées alimentaires et de médicaments sont volés. D’une manière générale, le CICR, dont un chauffeur a été grièvement blessé lors d’un tir nourri contre un convoi de véhicules sanitaires dès le 23 mai 1975, est bientôt confronté à une dégradation générale de la sécurité. Le 29 mars 1978, par exemple, un de ses expatriés, Louis Gaulis, est tué, pris dans un barrage de tirs contre sa voiture. La Croix-Rouge libanaise est encore plus touchée : deux de ses secouristes et une infirmière trouvent la mort quand leur ambulance passe au milieu de combats à Zahlé le 3 avril 1981. Selon Daphne Reid et Patrick Gilbo, ladite organisation recense un total de 11 morts et de 81 blessés pendant toute cette période. Pour le CICR, la difficulté est aussi de sauvegarder sa neutralité aux yeux des belligérant, notamment dans la capitale où les chrétiens de l’Est s’opposent aux musulmans de l’Ouest. Le Comité, dont la délégation se trouve à Beyrouth Ouest, se doit de maintenir une présence dans tous les camps et il rééquilibre son positionnement en ouvrant un bureau dans le quartier d’Achrafieh à l’Est, où les combats culminent en septembre 1978. Du côté musulman, qui est majoritairement sunnite, il lui faut également rassurer la minorité chiite lors de la fermeture en février 1977 d’un hôpital de campagne établi pour cette communauté dans la banlieue Sud en février 1976 et transféré en juin dans des quartiers plus sûrs à l’Ouest de la ville. Avec l’opération « Paix en Galilée », qui démarre en juin 1982, il s’agit ensuite de négocier un accès auprès de l’armée israélienne, qui s’allie aux forces chrétiennes et envahit le Liban pour chasser de Beyrouth les combattants de l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine). Votées les 19 juin et 29 juillet 1982, les résolutions 512 et 513 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui demandent la levée du blocus de Beyrouth et le libre passage des convois du Comité de Genève, n’empêchent pas les violations du droit humanitaire. Les Israéliens continuent de bombarder la population civile et un de leurs obus tue un membre de l’équipage du Flora, un bateau du CICR qui évacuait des blessés de l’OLP dans le port de Jounieh en août 1982. Les phalangistes chrétiens, pour leur part, massacrent le personnel médical de deux hôpitaux du Croissant Rouge palestinien dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, où le Comité de Genève relève quelque 2 000 corps en septembre 1982. Avec deux secouristes tués en 1985, deux en 1986 et un en 1987, la Croix-Rouge libanaise n’est pas non plus la dernière à souffrir de la guerre : elle déplore la mort d’un collaborateur lors d’une évacuation médicale à Beyrouth le 7 février 1984 tandis que trois blessés sont exécutés à bord d’une de ses ambulances le 8 avril 1988. Bien que l’armée israélienne commence à se désengager de la capitale en septembre 1983, la situation reste en effet très tendue. En novembre et décembre 1983, les combats qui se propagent entre les différentes factions libanaises obligent le CICR à établir une zone de refuge à Tripoli et à organiser l’évacuation vers Beyrouth et Saida de la population chrétienne du Chouf druze, réfugiée à Deir-el-Kamar. Devant la pression des événements, le Comité est bientôt amené à refuser de mener des opérations qui sortent de son mandat. Sollicité pour négocier avec les pirates de l’air qui ont détourné un appareil de la TWA (Trans World Airlines) sur l’aéroport de Beyrouth le 14 juin 1985, il s’abstient ainsi d’entreprendre une médiation qui s’avère lourde de conséquences sur le plan politique, même si ses délégués parviennent à monter à bord de l’avion, à obtenir la libération de trois otages et à fournir des soins aux autres passagers lors d’une escale à Alger. De fait, l’insécurité oblige le CICR à prendre toutes les précautions possibles alors que deux de ses véhicules sont dynamités le 11 juin 1983 et qu’un autre saute sur une mine le 23 décembre suivant, sans provoquer de morts. Au vu des conditions de circulation dans un pays en guerre, le personnel de l’institution n’est pas non plus à l’abri de l’accident de voiture, qui tue une infirmière, Pernette Zehnder, à Beyrouth le 18 octobre 1987. Surtout, le CICR, dont trois délégués sont brièvement enlevés en 1985, a le plus grand mal a faire respecter sa neutralité humanitaire en dépit de son assistance à toutes les parties au conflit. Ses expatriés reçoivent des menaces de mort et l’un d’entre eux, Peter Winkler, est enlevé à Saïda le 17 novembre 1988, sans doute en représailles contre l’incarcération par la Suisse d’un terroriste, Ali Mohamed Hariri, qui avait détourné un avion et tué un passager avant d’être arrêté à Genève. Le CICR décide en conséquence de confier la poursuite de ses programmes aux employés locaux et de retirer l’ensemble de ses dix-sept délégués en poste au Liban. Conditionné par la libération de Peter Winkler, qui est détenu pendant trente jours, la situation ne s’améliore guère après le retour du Comité dans le pays en février 1989. Le 6 octobre 1989, deux délégués, Emmanuel Christen et Elio Erriquez, sont de nouveau enlevés à Saïda. Le CICR, qui opère un retrait symbolique, nie vouloir payer une rançon ou négocier un échange. La libération de ses deux expatriés, respectivement les 8 et le 13 août 1990, ne coïncide pas moins avec celle, en France le 27 juillet 1990, d’Anis Naccache, qui avait tué deux personnes en tentant d’assassiner l’ancien Premier ministre iranien Chapour Bakhtiar à Paris. Quoiqu’il en soit, le Sud du Liban, où se produisent tous ces enlèvements, reste une des régions les plus difficiles d’accès pour le CICR. Toujours occupé par l’armée israélienne, Tsahal, il ne bénéficie guère de la dynamique des accords de Taëf, qui sont signés en octobre 1989 et qui permettent un retour progressif à la paix dans le reste du pays. Les combats continuent d’y opposer les islamistes chiites du Hezbollah (« Parti de Dieu »), soutenus par l’Iran, aux chrétiens de l’ALS (Armée du Liban Sud), appuyés par Israël. Jusqu’au départ des soldats de Tsahal en mai 2000, les tensions y restent fortes et sont ravivées par l’opération « Raisins de la colère » en avril 1996. L’accès aux victimes s’en ressent d’autant. Le CICR met plus de dix ans avant de pouvoir pénétrer dans la prison de Khiam, qui a été créée en 1984 et qui est tenue par les supplétifs de l’ALS. Les résistants du Hezbollah ne sont guère plus ouverts. S’il peut s’entretenir sans témoins avec une poignée de miliciens de l’ALS détenus par les militants du Parti de Dieu avant le retrait de Tsahal, le Comité de Genève n’est pas autorisé à visiter les trois militaires et le civil israéliens que le mouvement capture en octobre 2000 ; c’est une médiation du gouvernement allemand qui, trois ans plus tard, permet la libération du civil et la restitution des dépouilles des soldats. Dans le même ordre d’idées, le CICR n’a pas non plus accès aux deux soldats israéliens que le Hezbollah fait prisonniers en juillet 2006 et dont l’enlèvement déclenche une guerre entre les deux pays le mois suivant. D’une certaine manière, la situation est un peu meilleure dans les autres régions du Liban, où un décret d’octobre 2002 confirme officiellement le droit du Comité de Genève à visiter tous les détenus aux mains du gouvernement. Après avoir rapatrié d’Israël quelques prisonniers de guerre et civils libanais, le CICR parvient en particulier à négocier une trêve pour évacuer les victimes civiles des combats entre l’armée et un groupe islamiste, le Fatah Al-Islam, dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr Al-Bared près de Tripoli en mai 2007. Il déplore en revanche la mort de deux volontaires de la Croix-Rouge libanaise, Boulos Maamari et Haitham Suleiman, tués par des tirs de mortiers du Fatah Al-Islam le 11 juin 2007. Venu tenter une médiation entre l’armée et les miliciens, un responsable religieux musulman, le cheikh Mohammed Haj, est par ailleurs blessé quand le véhicule du Croissant Rouge palestinien dans lequel il se trouvait est pris pour cible à l'intérieur du camp…
 
-1977, Suisse : le CICR supervise la révision des Conventions de Genève avec l’adoption, le 8 juin 1977, de deux Protocoles additionnels relatifs à la protection, l’un « des victimes de conflits armés internationaux », l’autre « des victimes de conflits armés non internationaux ». L’objectif est d’essayer de profiter de la dynamique positive de la fin de la guerre du Vietnam pour essayer de faire progresser le droit international humanitaire dans les conflits dis « assymétriques » entre des Etats et des groupes insurrectionnels. La difficulté est que les pays qui ne disposent pas de la bombe atomique refusent de traiter de la conduite des hostilités si on n’y inclut pas des dispositions concernant les armes de destruction massive, question qui sera finalement évacuée au prétexte que le règlement des armes nucléaires, chimiques et biologique concerne aussi leur production, leur transfert et leur éventuelle destruction en temps de paix. Un autre souci concerne la participation aux négociations du gouvernement révolutionnaire du Vietnam du Sud à partir de 1975. Plus fondamentalement, beaucoup de militaires sont réticents à accorder à des guérillas le statut de belligérants à part entière et la pleine protection des prisonniers de guerre alors que leurs combattants ne portent pas d’uniformes et ont pour seule obligation de porter des armes et de ne pas feindre d’être des civils lorsqu’ils sont capturés au cours d’une attaque. Initialement, Genève s’est d’ailleurs montré réticent à un projet qui risquait de permettre aux Etats de revenir sur les acquis de 1949, de politiser le débat et de se décharger de leurs obligations sur le Comité. Lors des discussions qui ont démarré en février 1974, le CICR a ainsi refusé d’assumer automatiquement un rôle de substitut pour imposer aux puissances détentrices une protection minimale des ressortissants d’un pays ennemi. A défaut d’une Convention traitant spécifiquement des détenus d’opinion, il a préféré travailler à la rédaction de Protocoles additionnels sur des objectifs bien précis comme l’interdiction des déportations de civils et des attaques contre des objectifs non militaires. Résultat, les négociateurs n’ont pas essayé d’élargir le droit de la guerre à l’usage de l’arme nucléaire et ont écarté deux projets d’articles prévoyant l’établissement de bureaux de renseignements sur les personnes disparues dans les conflits. Le CICR n’a pas non plus réussi à aplanir les divergences entre les représentants des 121 gouvernements invités à Genève avec onze mouvements de libération nationale, dont trois accrédités grâce au soutien diplomatique de la Ligue des Etats arabes et de l’Organisation de l’Unité africaine. Les Etats-Unis, notamment, refusent de ratifier le deuxième Protocole, accusé de « cautionner le terrorisme » et de favoriser les guérilleros sans uniforme au détriment d’armées gouvernementales qui, elles, doivent continuer à se distinguer clairement de la population civile. En théorie, un insurgé peut prétendre bénéficier de la protection des Conventions de Genève s’il est capturé les armes à la main, placé sous les ordres d’un commandement responsable et membre d’une organisation constituée qui respecte les lois de la guerre. Mais, concrètement, son identification s’avère fort complexe par rapport au simple criminel de droit commun. En réalité, l’adoption des Protocoles additionnels présente surtout l’avantage d’entériner l’accroissement des responsabilités du CICR en faveur des détenus incarcérés à l’occasion de troubles internes. Avalisé lors de la vingt-troisième conférence internationale des Croix Rouges, qui se déroule à Bucarest du 15 au 21 octobre 1977, un tel mandat s’est construit par tâtonnements depuis les premières expériences du Comité de Genève en Russie en 1918, en Hongrie en 1919 ou en Irlande en 1923. Si les visites de prisons ne sont pas vraiment nouvelles pour le CICR, elles se sont considérablement multipliées au fil du temps, à raison de 215 en 1970, contre 30 en 1962 et 40 en 1958. Au total, les délégués de Genève ont par exemple assisté 170 000 détenus d’opinion entre 1970 et 1973, presque deux fois plus en trois ans que les 100 000 enregistrés lors de la décennie précédente, entre 1958 et 1970. Leurs activités dans ce domaine se sont particulièrement développées à cause de la situation en Amérique latine, continent que le CICR connaissait assez peu au départ. Après avoir pu visiter de façon ponctuelle des prisonniers politiques au Guatemala et en Colombie à l’occasion de troubles en juillet 1954 et mai 1969, respectivement, le Comité de Genève est intervenu en Bolivie à partir de février 1970. Dans la foulée du coup d’Etat du colonel Hugo Banzer Suárez à La Paz, il a même été autorisé, d’août 1971 à octobre 1972, à assister les détenus d’opinion en cours d’interrogatoire, avant leur jugement, précisément au moment où le risque de torture était le plus élevé. En Argentine, également, le CICR a commencé à visiter régulièrement des prisonniers politiques à partir de juillet 1971. A la différence du Chili, où il a vite été autorisé à secourir les détenus d’opinion après le putsch du général Augusto Pinochet, il a cependant dû attendre neuf mois pour pouvoir visiter sans témoins des opposants incarcérés à la suite du coup d’Etat du général Jorge Rafael Videla en mars 1976. La junte militaire au pouvoir à Buenos Aires l’a encore fait patienter près d’un an avant de lui permettre de renouveler ses inspections dans les prisons de La Plata, Rawson, Villa Devoto et Caseros en décembre 1977… puis d’interrompre toutes les opérations de décembre 1978 à février 1979.
 
-1978-1991, Nicaragua : sur un continent qu’il connaît peu, le CICR commence à organiser un pont aérien et à acheminer des secours dans un pays où il était déjà venu visiter ponctuellement des prisonniers politiques en avril 1971, février 1967, juin 1959 et janvier 1955. Lors d’une opération au cours de laquelle deux volontaires de la Croix-Rouge locale trouvent la mort le 14 septembre 1978, il parvient notamment à recueillir les blessés, à inhumer les morts, à ravitailler les hôpitaux et à assister les civils dans les zones de combats qui, à Leone et Esteli, opposent la guérilla sandiniste au gouvernement d’Anastasio Somoza. De part et d’autre, les violations du droit humanitaire sont assez nombreuses. Présidée par Ismaël Reyès, qui a succédé à un évêque de Giru Mons, Monseigneur Donaldo Chávez Núñez, la CRN (Cruz Roja Nicaragüense) déplore au total la perte de 17 secouristes jusqu’à la chute de la dictature le 19 juillet 1979. La victoire des Sandinistes ne résout pas tout non plus. Emprisonnés jusqu’à leur libération à la faveur d’amnisties en mars 1989 et février 1990, les anciens soldats de la Garde Nationale reprochent au CICR de les avoir livrés à l’ennemi après leur avoir enjoint de déposer les armes pour entrer dans des refuges créés à l’initiative de la Croix-Rouge nicaraguayenne et neutralisés par Genève dans des hôpitaux, des églises, des ambassades et des entrepôts de la zone franche de l’aéroport à Managua. De plus, les hostilités reprennent bientôt entre les Sandinistes et la résistance qui s’organise contre le nouveau pouvoir. Après des combats en février 1982 dans le département de Zelaya, le CICR est certes autorisé en novembre à aider les Indiens Miskitos chassés des régions frontalières du Honduras et regroupés dans les campements de Tasba Pri. Mais dans le reste du pays, il doit se contenter d’assister les prisonniers politiques traduits en justice et n’obtient pas la permission d’accéder aux suspects provisoirement détenus dans des commissariats ou des casernes, précisément là où les risques d’abus et de torture sont les plus élevés. Sous la présidence d’un cardiologue, le Docteur Gonzalo Ramires Morales de 1984 à 1988, la Croix-Rouge nicaraguayenne s’implique pour sa part dans la commission nationale de réconciliation qui est établie par le gouvernement en septembre 1987 afin d’entamer des négociations avec l’opposition armée. La situation s’améliore alors après la conclusion d’accords de paix en août 1989 et la tenue d’élections pluripartites en février 1990. Le CICR ferme finalement sa délégation à Managua en décembre 1991.
 
-Depuis 1978, Tchad : le CICR dépêche à Ndjamena un délégué, Laurent Marti, pour assister les victimes de la guerre civile, qui prend de l’ampleur. Celui-ci va notamment dans le Nord à la rencontre des rebelles de Goukouni Oueddei, dont il gagne la confiance en emmenant une vingtaine de combattants armés faire un tour dans un avion du Comité de Genève sur la piste de Faya-Largeau. De février à avril 1978, il parvient en l’occurrence à rapatrier vers la capitale quelque 2 500 soldats gouvernementaux capturés par les guérilleros. A mesure que les combats se rapprochent de la principale ville du pays, le CICR doit par ailleurs négocier une trêve pour aller ravitailler les hôpitaux et secourir les blessés à Ndjamena en février 1979. Il obtient également des différentes factions en lice un accord de principe pour libérer les prisonniers de guerre et internés civils. Mais les opérations sont reportées sine die. Revenu au moment où les hommes de Goukouni Oueddei et Hissène Habré se disputent le pouvoir à l’intérieur même de Ndjamena en mars 1980, Laurent Marti essaie alors d’établir une zone de refuge dans la capitale et de négocier la distribution des secours dans les deux camps. Sans succès : attaquées par les combattants du camp adverse, les équipes du CICR doivent se replier du côté de Goukouni Oueddei. Il leur faut patienter jusqu’en septembre pour pouvoir remettre les pieds dans les quartiers où les troupes de Hissène Habré sont encerclées et défaites. La mauvaise volonté des parties en présence conduit en conséquence le Comité de Genève à suspendre ses activités d’octobre à décembre 1980, avant de rouvrir sa délégation à Ndjamena en mars 1981 et de reprendre des programmes dans l’intérieur du pays. A la faveur d’une relative accalmie, le CICR décide finalement de se désengager du Tchad quand il constate que les besoins relèvent désormais du développement plus que de l’urgence. A partir d’octobre 1981, notamment, il confie la poursuite de ses programmes médicaux aux missions catholiques et à des organisations comme Médecins Sans Frontières. La reprise des combats et l’entrée dans Ndjamena des forces victorieuses de Hissène Habré, en juin 1982, obligent cependant le CICR à revenir s’occuper des victimes d’une guerre qui, à partir de décembre 1986, prend une véritable ampleur internationale avec l’intervention militaire du colonel Mouammar Kadhafi aux côtés du GUNT (Gouvernement d’union nationale de transition) de Goukouni Oueddei, réfugié dans le Nord du pays. Cette fois encore, les parties au conflit ne respectent guère les Conventions de Genève. Dans le Nord, le GUNT et la Libye refusent au CICR l’accès à la totalité des prisonniers de guerre qu’il détiennent : ouverte en novembre 1983, la délégation du Comité à Bardaï doit bientôt suspendre ses opérations en mai 1984. A Ndjamena, la situation ne se présente pas mieux. Parce que le colonel Mouammar Khadafi nie avoir envoyé son armée au Tchad, le gouvernement de Hissène Habré n’accorde pas le statut de prisonnier de guerre aux militaires libyens qu’il capture. Il ne notifie donc pas à Genève les quelque 2 000 combattants libyens qu’il détient et dont une bonne moitié seront rapatriés après la chute du régime en décembre 1990. De plus, le gouvernement de Hissène Habré entrave à plusieurs reprises les activités de secours du CICR, qui sont complètement interrompues d’août 1983 à février 1984. A partir d’octobre 1987, il interdit notamment aux équipes du Comité de se rendre dans les régions septentrionales de Fada, de Faya-Largeau et du Tibesti où se déroulent les combats avec les rebelles du GUNT. Fin 1990, le départ en exil de Hissène Habré et l’arrivée au pouvoir d’Idriss Déby changent certes la donne, même si le CICR ne peut toujours pas visiter les détenus politiques jusqu’en 1995. Le Comité revient ensuite dans l’Est du pays assister les réfugiés soudanais qui fuient la guerre au Darfour à partir de 2003. La situation reste volatile et l’organisation doit suspendre ses activités après l’enlèvement d’un agronome français du CICR, Laurent Maurice, dans le village de Kawa le 9 novembre 2009 : détenu au Darfour par un groupe appelé « les Aigles de libération de l’Afrique », celui-ci n’est relâché que le 6 février 2010.
 
-1979-1980, Thaïlande : le CICR intervient auprès des Cambodgiens qui traversent la frontière pour fuir la chute du régime de Pol Pot à Phnom Penh et l’invasion de leur pays par les troupes vietnamiennes. Le problème est que les réfugiés sont embrigadés par les Khmers Rouges et rejetés par l’armée thaïlandaise, qui en refoule près de 43 000 à Preah Vihear. Avec l’accord de sa hiérarchie, le délégué du CICR à Bangkok, Francis Amar, proteste d’abord contre l’expulsion manu militari des demandeurs d’asile cambodgiens. Mais il est rappelé à Genève en juin 1979 car le Comité veut ménager la Thaïlande, qui soutient les Khmers Rouges de Pol Pot pour maintenir une zone tampon contre les troupes d’occupation vietnamiennes au Cambodge. La difficulté est également d’amadouer les autorités du Kampuchéa démocratique, qui s’opposent à la distribution d’une aide alimentaire à des réfugiés organisés en guérilla. Le 26 septembre 1979, le CICR et l’UNICEF (United Nations Children's Fund) annoncent un peu trop rapidement avoir obtenu un accord pour démarrer des programmes d’assistance de part et d’autre de la frontière. Aussitôt démenti, leur communiqué de presse suscite l’ire du régime fantoche de Heng Samrin, au pouvoir à Phnom Penh. Le jour même, un quotidien de Hanoi, Nhan Dan, dénonce « l’interprétation tendancieuse du CICR et de l’UNICEF. Les impérialistes réactionnaires du capitalisme international, est-il écrit, ont de nouveau calomnié en prétendant que le Kampuchéa démocratique refusait ou bloquait l’aide alimentaire à destination du peuple khmer. Ils se disent humanitaires en réclamant une assistance des deux côtés… Mais leurs allégations ne sont rien qu’un écran de fumée pour […] tromper l’opinion publique […] légaliser le ravitaillement des restes de l’armée de Pol Pot […] et interférer dans les affaires intérieures du Kampuchéa démocratique ». Dans un tel contexte, le CICR cherche à garder un profil bas. Soucieux de ne pas compromettre la poursuite de ses programmes au Cambodge, il cache ainsi à la presse les déclarations d’un transfuge du régime de Heng Samrin, Hieng Mea Nuont, qui présidait le comité chargé de réceptionner l’aide humanitaire à Phnom Penh et qui, une fois exilé en Thaïlande, entreprend de dénoncer la façon dont les troupes d’occupation vietnamiennes détournent l’assistance occidentale. Pire encore, le CICR alimente les dynamiques de guerre en ravitaillant les camps de réfugié tenus par les différentes factions en lice : Khmers rouges à Sa Kaeo, Nong Pru, Ta Prik, Phnom Chat, Klong Kai Thoeng puis Khao Din ; les Sihanoukistes du Mouvement de Libération Nationale du Kampuchéa sous la coupe de Kong Sileah à Nong Chan ; les partisans de Lon Nol avec le Mouvement Khmer Angkor du commandant In Sakhan à Nong Samet. En effet, le Comité de Genève a beau demander la relégation des groupes armés dans des bases séparées, la distinction entre les civils et les combattants s’avère impossible. De plus, il n’est pas toujours en mesure de vérifier la distribution de ses vivres, qui sont confiés à de vagues représentants de « coopératives » dans les camps khmers rouges où il n’a pas accès du côté cambodgien de la frontière. A défaut d’être revendues au marché noir dans des régions où il n’y a plus d’économie monétarisée, ses rations alimentaires nourrissent en priorité les combattants qui taxent la population sous prétexte de lutter contre l’occupant vietnamien. La controverse est d’autant plus vive que les Khmers rouges ont commis un génocide, qu’ils sont les seuls à vraiment combattre les troupes de Hanoi et que leurs camps sont les plus militarisés. Mais en Thaïlande, les autres sites d’accueil de réfugiés n’échappent pas non plus à la mainmise de mafias ou d’entrepreneurs véreux qui y développent le marché noir et qui revendent les vivres au Programme alimentaire mondial. Mak Moun, par exemple, est régenté par un seigneur de guerre, Van Saren, qui a fait sa fortune dans la contrebande de teck et qui finit assassiné par ses parrains de l’armée thaïe en avril 1980. Dans ce camp qui compte entre 50 000 et 150 000 réfugiés, le CICR distribue de la nourriture pour 300 000 personnes en novembre 1979, le surplus allant entre les mains des trafiquants. Selon des rapports internes cités par Linda Mason et Roger Brown, 89% du riz et 89% de l’huile à destination de Mak Moun sont détournés. A Nong Chan, 49% du riz et 46% de l’eau sont directement ponctionnés par les combattants. De tels détournements ne permettent pas seulement de poursuivre la guerre. Leur enjeu économique et militaire suscite également des conflits entre les camps. Le 30 décembre 1979, par exemple, les hommes de Van Saren, privés d’aide, attaquent les réfugiés de Nong Chan où les distributions de vivres gratuits ont fait chuter le prix du riz. Le ravitaillement des combattants attire en outre l’attention des troupes vietnamiennes, qui traversent la frontière le 22 juin 1980, bombardent un hôpital de la Croix-Rouge et enlèvent brièvement un employé du CICR, Pierre Perrin, le 26 juin. Les combats qui s’ensuivent avec l’armée thaïe et les Khmers Rouges provoquent la mort de 400 réfugiés. Débordé, le CICR décide alors, en juillet 1980, de recentrer ses activités sur le secteur médical. Faute de pouvoir séparer les combattants des civils, il arrête complètement ses distributions de nourriture dans les camps khmers rouges, en particulier à Sa Kaeo, où l’UNICEF ne ravitaille plus que les femmes et les enfants de moins de seize ans. De même en avril 1980, il coupe officiellement les vivres au camp de Mak Moun, dont les occupants ont commencé à être réinstallés sur le site de Khao-I-Dang en décembre 1979. Les difficultés ne sont pas terminées pour autant. Bien décidés à aider leurs alliés de circonstances contre les Vietnamiens, les Thaïs menacent en représailles d’interdire les activités humanitaires dans tous les camps, tandis que Phnom Penh continue de manifester son hostilité au principe de missions transfrontalières. Au final, le bilan s’avère assez négatif. « Pas plus que l’UNICEF le CICR n’avait d’expérience en matière de distribution alimentaire à grande échelle, écrivent Linda Mason et Roger Brown… Les détournements de l’aide ont permis de construire des empires économiques et renforcé le pouvoir des leaders les plus irresponsables le long de la frontière. Le comportement de Van Saren et In Sakhan était la conséquence logique d’un système de distribution non contrôlé… Les efforts pour améliorer le système n’ont pas abouti faute de coordination et de planification… A chaque échec, les travailleurs humanitaires étaient encore plus découragés et incapables de comprendre que le problème ne venait pas tant de la corruption des combattants khmers que d’un système vicié à la base. Amers, ils ont fini par se méfier de tous les responsables locaux, civils comme militaires, et n’ont plus voulu leur confier de responsabilités susceptibles, précisément, de permettre le contrôle des distributions alimentaires ». De fait, le CICR ne parviendra jamais à empêcher la mainmise des militaires thaïs et des groupes armés sur l’aide et la population. Au moment du retrait des troupes vietnamiennes du Cambodge en octobre 1989, la reprise des combats montrera que les Khmers Rouges n’ont rien perdu de leur emprise sur les réfugiés, souvent forcés manu militari de rentrer dans leur pays. Il faudra attendre la fermeture officielle des camps de Site 8 et Khao-I-Dang, respectivement en janvier et mars 1993, pour que le CICR commence à se désengager dans la foulée des accords de Paris qui permettent le retour à la paix et le rapatriement des Cambodgiens.
 
-Depuis 1979, Afghanistan : expulsé de Kaboul par le gouvernement prosoviétique de Babrak Karmal au moment de l’invasion du pays par l’Armée rouge en décembre 1979, le CICR s’interdit d’opérer clandestinement depuis la frontière pakistanaise et négocie pendant huit ans avant d’être officiellement autorisé à intervenir dans les zones tenues par la résistance. Contre toute évidence, Moscou argue que ses troupes ne participent pas aux combats et ne sont donc pas concernées par les Conventions de Genève, tandis que les autorités afghanes réduisent l’insurrection à une simple affaire de banditisme. Brièvement autorisé à visiter les détenus de la prison de Pul i Charki en février et avril 1980, le CICR doit se contenter d’assister les réfugiés au Pakistan et de monter à partir de janvier 1982 des postes de secours pour évacuer et transférer sur les hôpitaux de Peshawar et Quetta les blessés de guerre qui parviennent à franchir la frontière et à gagner la Province du Nord-Ouest (à Parachinar, Miram Shah, Khar Bajaur, Thal, Alizaï, Landi Kotal, Chitral et Wana) ou le Baloutchistan (à Badini, Chagaï, Dalbandin et Chaman). Là aussi, les difficultés d’accès et la montée de l’insécurité dans la région entravent l’action du Comité de Genève, qui déplore la perte d’un chauffeur d’ambulance, Arif Gul, lors d’un accident de la route à Parachinar le 2 novembre 1985, puis l’assassinat d’un collaborateur, Mohamed Zaker, dans les rues de Peshawar le 28 août 1989. Du côté afghan, la situation n’est guère meilleure. Le CICR, qui a ouvert une délégation à Kaboul en février 1987, peut certes commencer, l’année suivante, à visiter les prisons de la capitale, à savoir Pul i Charki et Dar ul Tadib, et à travailler dans les provinces de Herat et Balkh. Depuis le Pakistan à partir de janvier 1989, il est également autorisé à construire et gérer quatre postes de premiers secours à l’intérieur de l’Afghanistan, en l’occurrence à Sarroza dans la province de Paktika, à Showki dans la vallée du Kunar, à Bazawul dans la province de Nangarhar et à Misrabad au nord de Kandahar. Dans le courant de l’année 1991, enfin, il obtient un accès libre et entier à tous les détenus… après onze années de négociation ! Mais le départ des troupes soviétiques, en février 1989, ne met pas fin à la guerre et à l’insécurité. Lorsque les combats se rapprochent de la capitale, une roquette touche un bureau du Croissant Rouge afghan et tue deux employés le 1er octobre 1989. L’année 1991 se révèle particulièrement difficile pour les humanitaires, avec l’enlèvement de plusieurs délégués du CICR, l’un séquestré pendant douze jours, les quatre autres pendant plus de deux mois, obligeant l’organisation à se retirer de Kandahar et Zaboul. Menacés de mort, les expatriés du Comité quittent la province de Kunar en juin et sont contraints de suspendre leurs opérations à Herat et Mazar-i-Sharif de juillet 1991 à juin 1992. Les employés locaux ne sont pas plus épargnés. Le 9 juillet 1991 dans la province du Paktia, une embuscade entraîne la mort d’un chauffeur et d’un gardien afghans, Faquir Yar et Zamany Mohd Osman. Quant aux postes de secours du CICR, ceux de Mir Bachakot, au nord de Kaboul, et de Bazawul, dans la province de Nangarhar, sont bombardés en avril puis octobre 1991, tandis qu’un autre est pillé dans la région de Mazar i Sharif. La chute du régime communiste ne règle rien non plus. Alors que les moudjahidine entrent dans la capitale, un infirmier de la Croix-Rouge islandaise, Jon Karlsson, est tué le 22 avril 1992 à Maidan Shar au sud de Kaboul. Malgré les appels à la retenue de Genève, les différentes factions qui se disputent le pouvoir se mettent à bombarder les hôpitaux de la ville en août 1992 et obligent le CICR à se décharger de ses opérations de secours sur les autorités de santé locales. L’intransigeance des parties au conflit rend quasiment impossible l’accès à Kaboul de juillet à décembre 1994. Seule avancée notable : l’ouverture d’une unité chirurgicale à l’hôpital Mirwais de Kandahar permet de transférer en Afghanistan les dernières activités médicales encore assurées par le Comité au Pakistan dans une clinique de Quetta qui ferme ses portes en octobre 1996. Pour le reste, le CICR recentre ses efforts sur des programmes de distributions de vivres dans la capitale bombardée, la province de Laghman et le camp de Samarkhel près de Jalalabad dans la région de Nangarhar. Depuis le Pakistan, il met notamment en place un pont aérien pour ravitailler les habitants de Kaboul encerclés et assiégés par les intégristes talibans en février 1996. Son action a un impact stratégique important car elle permet aux soldats de la coalition gouvernementale d’éviter la famine et de tenir quelques mois supplémentaires. Elle n’empêche cependant pas la victoire des talibans, qui entrent dans Kaboul fin septembre 1996. Malgré l’expulsion des seigneurs de guerre et un semblant de retour à l’ordre, la difficulté vient cette fois de l’idéologie fondamentaliste du nouveau pouvoir, qui veut respecter strictement la charia (le droit coranique) en séparant les hommes des femmes dans les structures médicales. Le 6 septembre 1997, un décret du ministre de la Santé contraint les personnes de sexe féminin à être soignées dans le seul hôpital Rabia Balkhi, qui n’est pas encore complètement fonctionnel. Avec les Nations unies et les ONG, le CICR engage alors des négociations et obtient que les femmes puissent être admises dans d’autres hôpitaux où les hommes sont traités séparément. Après que les organisations humanitaires ont été « invitées » en avril 1998 à se regrouper dans un quartier plus facile à surveiller, les autorités maintiennent la pression pour contrôler le recrutement du personnel local et sélectionner les bénéficiaires de l’aide. Favorable à la poursuite du dialogue avec les talibans, le CICR accepte de se plier aux diktats des intégristes. Désormais, son personnel afghan ne comprend plus que des hommes. Les femmes, elles, sont officiellement renvoyées, quoiqu’elles continuent de recevoir un salaire et de travailler depuis chez elles ou depuis les camps de réfugiés au Pakistan. Une telle décision s’avère fort controversée car les autres organisations humanitaires préfèrent suspendre leurs opérations et refusent de verser des émoluments à un personnel féminin dûment sélectionné par le pouvoir dans les hôpitaux publics. Le CICR paraît d’autant plus compromis qu’il est un des seuls à rester sur place après l’expulsion de la plupart des ONG occidentales, le 20 juillet 1998, et l’évacuation des derniers expatriés encore présents en Afghanistan lors des bombardements américains contre les camps du terroriste islamiste Oussama ben Laden en août suivant. Si les talibans l’autorisent à visiter leurs détenus en 1999 et 2000, sa marge de manœuvre est extrêmement réduite. Ainsi, le Comité n’a guère le loisir de superviser lui-même ses opérations de secours. Le vaste programme de distribution alimentaire qu’il démarre en 2000 à Kaboul donne lieu à d’importants détournements car, faute d’expatriés en nombre suffisant, sa gestion est confiée à un personnel local qui subit les pressions des autorités. Lorsqu’un collaborateur du CICR veut reprendre les choses en mains, il est menacé de mort et doit quitter le pays. La montée en puissance de l’opposition armée au régime des talibans, essentiellement l’Alliance du Nord, compromet également les possibilités d’accès au terrain. Dès le 18 octobre 1997, un chauffeur afghan du CICR, Mohamed Bashir, est tué lors d’une attaque contre son convoi sur la route entre Anchoy et Shibirgan dans la région de Mazar-i-Sharif. Le 27 avril 1999, un autre employé local, Abdul Rahim, meurt lors d’un raid aérien à proximité de l’entrepôt de vivres qu’il était chargé de garder à Jabul Saraj au nord de Kaboul. En décembre 2000, enfin, le CICR voit échouer les négociations qu’il avait entreprises pour accéder aux personnes déplacées de l’autre côté des lignes de front dans la plaine de Shomali et la vallée du Panshir aux mains de l’Alliance du Nord. Suite à un commentaire du porte parole du secrétaire général des Nations Unies, qui critique le bombardement de la population civile, les talibans n’autorisent le passage que de trois camions, au lieu d’une centaine prévus initialement. Résultat, les combattants de l’Alliance du Nord se vengent en pilonnant le convoi du CICR. Préparés depuis l’Afghanistan, les attentats d’Oussama ben Laden contre les tours du World Trade Center à New York en septembre 2001 bouleversent ensuite la donne. Pour la première fois depuis l’ouverture d’une délégation à Kaboul en février 1987, le CICR doit retirer tous ses expatriés du pays. Il n’y revient qu’après la chute du régime des talibans et l’intervention militaire américaine d’octobre 2001, au cours de laquelle sont bombardés deux hôpitaux signalés par l’emblème de la Croix-Rouge. Paradoxalement, le déploiement de troupes occidentales ne facilite pas forcément les choses. De fait, le Comité de Genève n’est pas autorisé à visiter tous les détenus aux mains des belligérants. Jusqu’en 2004, il n’a accès qu’à la prison de Bagram. Il ne peut donc pas assister les détenus affamés et tués à petit feu par les hommes d’Abdul Rashid Dostrum à Shiberghan en 2002. De plus, la situation demeure très tendue car les islamistes reconstituent bientôt leurs forces dans les maquis près de la frontière pakistanaise. Le 27 mars 2003, un délégué suisse d’origine salvadorienne, Ricardo Munguia, est froidement abattu par les hommes d’un commandant taliban, Mollah Dadullah, à Tirin Khot dans la province d’Uruzgan au nord de Kandahar. Après d’autres incidents en juin 2004, les équipes du CICR sont contraintes de restreindre leurs déplacements dans les régions de Badghis, Kunduz, Herat, Taloqan et Mazar-i-Sharif. De l’autre côté de la frontière, les troubles n’épargnent pas la province du Nord-Ouest au Pakistan, où deux employés locaux du Comité disparaissent le 2 février 2008. D’une manière générale, l’insécurité concerne tous les acteurs humanitaires, obligeant parfois Genève à servir d’intermédiaire pour négocier leur libération auprès des insurgés talibans. Le CICR se porte par exemple au secours du Français Eric Damfreville, qui travaillait pour l’ONG Terre d’enfance dans le sud-ouest du pays et qui est séquestré du 3 avril au 11 mai 2007. Dans les bureaux du Croissant Rouge à Ghazni au sud de Kaboul, encore, il supervise les négociations directes entre Séoul et les insurgés pour obtenir la libération de 23 Sud-coréens de la communauté presbytérienne de Saemul, kidnappés le 19 juillet 2007. Il garantit notamment la sécurité des émissaires talibans et obtient au bout de six semaines la libération de tous les otages à l’exception de deux d’entre eux, exécutés par les rebelles. De telles opérations ne sont pas sans danger. Revenus récupérer des otages allemand et afghans dans la province de Ghazni, deux expatriés du CICR, l’un birman, l’autre macédonien, et deux employés locaux qui avaient participé à la libération des Sud-coréens sont brièvement enlevés le 26 septembre 2007 dans le district de Wardak. Un collaborateur du Comité, membre du Croissant Rouge afghan, est par ailleurs tué lors d’un bombardement américain qui fait une centaine de victimes civiles à Bala Buluk dans la province de Farah le 4 mai 2009. Malgré tout, l’institution parvient à maintenir un dialogue avec les insurgés, qui se souviennent de son aide aux moudjahidine dans les années 1980 et qui apprécient son action en Irak, à Guantanamo ou au Pakistan depuis 2001. Il faut dire que le mollah Mohammad Omar, chef des talibans, a lui-même bénéficié d’une prothèse mise en place par des docteurs du CICR. En août 2009 dans le district de Shawalikot vers la province de Kandahar, l’institution parvient en conséquence à négocier un cessez-le-feu entre l’opposition armée et les forces américaines afin d’évacuer des victimes du choléra et récupérer les dépouilles de talibans et d’agents de la sécurité d’Etat. En décembre, le CICR est ensuite autorisé à visiter des personnes capturées et détenues par les islamistes. Ces derniers ne restent pas insensibles aux efforts de promotion du droit international humanitaire. Cités par Laurent Corbaz, les articles 41 et 46 du code des talibans visent expressément à épargner les civils lorsque les combattants préparent des attentats-suicides ou des attaques avec des engins explosifs artisanaux. Fort de son dialogue avec les insurgés, le CICR ne se prive donc pas de condamner les violations du droit international humanitaire. Dans un communiqué du 5 mars 2010, il proteste ainsi contre l’emploi par les talibans d’engins explosifs artisanaux dans la province de Helmand. Le commandement taliban désavoue quant à lui l’attaque commise par un commando suicide qui avait utilisé une ambulance du Croissant Rouge pour s’approcher d’une caserne de police à Kandahar. Il nie également être impliqué dans un atttentat suicide qui tue un garde et blesse trois collaborateurs dans l’enceinte des bureaux du CICR à Jalalabad le 29 mai 2013. On ne sait pas non plus ce qu’il en est des ravisseurs d’un employé du Comité, Juan Carlos, enlevé le 19 décembre 2016 et libéré le 16 janvier 2017 dans la province de Kunduz. D’après la presse, cependant, c’est plutôt l’Etat Islamique qui, en rivalité avec les talibans, serait responsable de l’assassinat de six employés de la Croix-Rouge internationale et de la dispartition de deux autres collaborateurs le 8 février 2017 près de Shiberghan dans la province de Jowzjan frontalière du Turkménistan. L’affaire provoque la suspension des opérations du CICR dans le pays et n’empêche pas qu’une physiothérapeute espagnole qui travaillait auprès d’handicapés, Lorena Enebral Perez, soit abattue par un de ses patients à Mazar-i-Sharif le 11 septembre 2011, jour du dixième anniversaire de l’attentat contre les tours du World Trade Centre à New York.